L'édito de Pascal Boniface

États-Unis / Corée du Nord : Il n’y a pas de solution militaire

Édito
4 septembre 2017
Le point de vue de Pascal Boniface
L’essai thermonucléaire, auquel la Corée du Nord vient de procéder, a fait monter d’un cran la tension au sein de la péninsule nord-coréenne. Donald Trump a évoqué publiquement la possibilité d’une « réponse militaire massive ».

Le monde retient son souffle. Le pire des scénarios déboucherait sur un affrontement généralisé impliquant, outre les deux Corée et le Japon, les États-Unis et la Chine. Le tempérament de D. Trump ne facilite pas une sortie de crise. La diplomatie ne signifie pas prouver, par tous les moyens, sa supériorité en amenant l’autre à courber l’échine. Il ne s’agit pas plus d’exonérer le régime nord-coréen de ses responsabilités et multiples turpitudes mais de réfléchir rationnellement à la meilleure façon de dénouer la crise.

Il est malheureusement inutile d’espérer une dénucléarisation de la Corée du Nord. Celle-ci était peut-être encore possible dans les années 1990 lorsque la Sunshine policy de Kim Dae-jung (inspiré de l’Ostpolitik de Willy Brandt), permettait d’espérer une normalisation douce entre les deux Corée. En 2000, les deux pays ont même défilé ensemble lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Cette politique était fortement critiquée par les faucons, aussi bien en Corée qu’aux États-Unis, alors qu’elle commençait à avoir des résultats.

Dans ses mémoires, Madeleine Albright raconte qu’en 2000, peu avant la fin du mandat de Bill Clinton, les États-Unis et la Corée du Nord étaient tout près d’obtenir un accord mettant fin à la menace potentielle des missiles de longue portée nord-coréens. À l’époque, écrit-elle, de nombreux parlementaires et experts américains s’y sont opposés « craignant qu’un accord avec la Corée du Nord ne fragilise le projet américain de défense antimissile (NMD) ». On croit rêver. Ou cauchemarder. Ils se sont opposés à une possibilité de désarmement nord-coréen, car cela aurait constitué une menace sur le programme d’armement américain… censé protéger contre la menace nord-coréenne ! On voit là le poids du complexe militaro-industriel. Par la suite, Bill Clinton s’est concentré sur le sommet de Camp David et le dossier israélo-palestinien, laissant le dossier en l’état.

En mars 2001, alors que le président sud-coréen Kim Dae-jung, partisan du dialogue avec Pyongyang, s’était rendu aux États-Unis, l’administration Bush lui a fait savoir qu’elle ajournait ses négociations avec la Corée du Nord, tant que cette dernière n’aurait pas réexaminé ses orientations de politique étrangère. La fenêtre d’opportunité se refermait. En janvier 2002, le président américain ajoutait la Corée du Nord dans les pays de « l’axe du mal », ce qui allait contribuer à durcir un peu plus ce régime.

En novembre 2002, Madeleine Albright revient à Séoul. Le président sud-coréen, Kim Dae-jung, lui exprime son inquiétude vis à vis de la Corée du Nord :

 » C’est très inquiétant. Le Nord changera quand il pensera pouvoir le faire en toute sécurité. Ils m’ont confiance en personne. Ils ont vu ce que les Américains ont fait contre la Serbie, qui n’avait pas d’armes nucléaires. Il collabore étroitement avec le Pakistan qui s’est doté de l’arme nucléaire en dépit des mises en garde de la communauté internationale, et qui est aujourd’hui un allié des États-Unis. Il pense peut-être avoir besoin de ces armes comme force de dissuasion. »[1]


Par la suite, les interventions militaires en Irak et en Libye ont définitivement convaincu les responsables nord-coréens que la possession d’arme(s) nucléaire(s) était la seule garantie de survie. L’arme nucléaire n’a pas pour objectif de réunifier la Corée par la force ou d’attaquer le Japon, mais de sanctuariser le régime nord-coréen. Kim Jong-un pense que l’arme nucléaire aurait permis à Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi d’être encore en vie et au pouvoir aujourd’hui.

La situation de la péninsule coréenne inquiète les chancelleries et observateurs internationaux. La nature du régime ne peut en effet qu’alarmer. Mais, s’il est l’un des plus répulsifs de la planète, ses dirigeants ne sont pas irrationnels. Kim Jong-un a hérité de son père, qui avait lui-même succédé à l’ancien fondateur du régime, après la Seconde Guerre mondiale. Le but de ce régime est de se maintenir au pouvoir. Or, il serait irrémédiablement vaincu en cas de conflit.

D’un autre côté, malgré ses rodomontades, D. Trump n’a pas de solutions militaires à sa portée. S’il attaque la Corée du Nord, il est certain de gagner la guerre mais, entre-temps, la Corée du Nord pourrait avoir détruit Séoul ou Tokyo. La Chine n’arrive pas à ramener la Corée du Nord à des attitudes moins provocatrices mais ne souhaite pas la chute du régime. Pékin a assez peu de prise sur la Corée du Nord qui n’a pas suivi ses conseils en matière d’ouverture économique. La Chine est gênée car cela offre un motif aux Américains d’accroître leur présence militaire dans la région et aux Japonais de se réarmer. Le Japon de Shinzo Abe souhaite muscler sa puissance militaire et n’a pas une relation claire avec la Corée du Sud (contentieux historique). Il ne peut jouer aucun rôle décisif dans la crise. Le nouveau président sud-coréen, Moon Jae-in, qui était un proche de Kim Dae-jung, peut, quant à lui, davantage peser, en concertation avec la Chine (Pékin apprécie plus Séoul que Pyongyang). Il vient d’ailleurs de durcir le ton.

Ce que recherche aujourd’hui la Corée du Nord est la reconnaissance de son statut nucléaire et la tenue d’un sommet bilatéral entre Kim Jong-un et Donald Trump. La première revendication est impossible, car elle impliquerait de réviser le texte du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), ce qui ouvrirait la question de la prolifération nucléaire. Mais les exemples israélien, pakistanais et indien montrent que des pays peuvent tout à fait avoir un statut nucléaire officieux, accepté de fait. L’organisation d’un sommet bilatéral avec le président américain serait un succès formidable pour Kim Jong-un mais il est loin d’être certain que l’administration américaine le permette.

Si, officiellement, Rex Tillerson, Secrétaire d’État américain, a indiqué aux Nord-coréens que les États-Unis ne souhaitaient pas un changement de régime, on peut comprendre, du fait de l’Histoire, les doutes nord-coréens. L’empilement des sanctions n’a aucun effet immédiat et touche davantage la population que le régime. Comme le disait Winston Churchill : « Quand on est au fond du trou, il faut arrêter de creuser. »

Il faudrait, en premier lieu, que D. Trump arrête de tenir des propos si violents. Brandir une solution militaire, dont il n’a pas les moyens, est inutile, sauf à crisper davantage le régime nord-coréen, pas fâché de montrer publiquement qu’il résiste aisément à la superpuissance américaine. La solution ne viendra pas de déclarations à l’emporte-pièce mais de contacts discrets. Au sein de cette affaire, il n’y a que des réalités désagréables. Autant éviter de les transformer en catastrophes.

[1] Madame la Secrétaire d’État, Albin Michel, 2003, p 575.
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