L'édito de Pascal Boniface

Afghanistan : 20 ans après

Édito
6 mai 2021
Le point de vue de Pascal Boniface
Le président Biden a annoncé que le retrait américain de l’Afghanistan serait totalement effectif le 11 septembre 2021, date évidemment symbolique. C’est en réaction aux attentats du 11 septembre 2001 que les États-Unis étaient intervenus en Afghanistan à partir d’octobre, les talibans au pouvoir à Kaboul ayant refusé de leur livrer Ben Laden. Cette guerre était considérée comme légale (sur le principe de la légitime défense) et légitime.

Biden clôt ainsi une guerre qui a duré 20 ans, la plus longue jamais menée par les États-Unis. Et elle ne se termine pas par une victoire, loin de là. Mais l’intervention aurait pu durer dix ans de plus et cela n’aurait rien changé, à l’exception du nombre de victimes supplémentaires. C’est une défaite stratégique pour les États-Unis, voire un échec cuisant. C’est également une défaite pour l’OTAN, la première au moment où l’on parle de nouveau d’un élargissement des missions de l’Organisation hors d’Europe. Le plus probable est désormais que les talibans ne tardent pas à revenir au pouvoir une fois le retrait américain achevé. Comment expliquer que l’ « hyperpuissance » américaine n’ait pas su triompher sur un pays si pauvre et sous-développé ? En effet, il y a eu au plus fort de la présence américaine 150 000 soldats déployés en Afghanistan. Et le coût totale de cette guerre représente 1 500 milliards de dollars, chiffre à peine inférieur au PIB actuel de la Russie ou… 75 années du PIB actuel de l’Afghanistan !

Les États-Unis vont continuer à verser à l’armée afghane une aide représentant 4,5 milliards de dollars par an, soit le quart du PIB du pays ou près de 30 fois les dépenses de l’Aide publique au développement annuel à l’échelle mondiale. Et tout ceci alors que l’autre source de revenus de l’Afghanistan est le trafic d’opium. Le bilan est le suivant : 20 ans après le début de l’intervention, les talibans sont de nouveau aux portes du pouvoir, et il n’y a pas eu de « Nation building » en Afghanistan.

Alors certes, le départ de l’armée américaine ne donnera pas lieu à une évacuation humiliante comme celle de l’ambassade américaine de Saïgon en 1975, et cette guerre a moins traumatisé les Américains dans la mesure où elle était menée par des militaires professionnels et non par des conscrits que l’on envoyait contre leur gré. Elle laissera cependant des traces profondes.

Bavures militaires, laisser-faire sur la corruption, accords passés avec les seigneurs de la guerre au comportement aussi répulsif que les talibans et surtout une méconnaissance profonde du pays, sans parler des blessés et mutilés de guerre… C’est avant tout la tentation de plaquer des schémas occidentaux sur une société radicalement différente qui explique cet échec. Les Américains étaient persuadés qu’ils réussiraient facilement là où les Soviétiques avaient échoué en leur temps.

Il n’en fut rien et le résultat c’est que l’Afghanistan est en guerre depuis 42 ans. Certes, Washington peut passer un accord avec les talibans pour que ceux-ci ne soutiennent pas le terrorisme international. Ils ont certes éliminé Ben Laden, mais Al-Qaïda n’est pas démantelée et Daesh est désormais présent et actif en Afghanistan.

Les Occidentaux doivent réfléchir aux conséquences de leurs opérations militaires extérieures. Leur immense supériorité technologique ne conduit pas nécessairement à une victoire militaire. Et encore moins à la mise en place d’une solution politique. Échec en Afghanistan alors que la guerre était, contrairement à celle d’Irak de 2003, initialement justifiée ; échec catastrophique en Irak ; échec en Libye, malgré l’onction juridique de la résolution 1973, l’objectif de la mission ayant été changée en cours de route pour passer de la responsabilité le protéger au changement de régime… Cette intervention en Libye est largement responsable de la déstabilisation du Mali et de l’ensemble de la région sahélienne. Si l’intervention française en 2013 a été initialement un succès, il y a depuis un enlisement qui suscite de plus en plus d’interrogations : combien de temps la France pourra-t-elle maintenir une présence militaire dans la bande sahélienne ? Une victoire est elle en vue ou s’agit-il d’une autre guerre enlisée ?
Tous les éditos