L'édito de Pascal Boniface

« Trump, syndic de faillite de l’hégémonie libérale ? » (4/5) – Exagérer la menace et contribuer à sa montée en puissance.

Édito
24 janvier 2019
Le point de vue de Pascal Boniface


 

A l’occasion de la parution de son dernier ouvrage Requiem pour le monde occidental aux éditions Eyrolles, Pascal Boniface publie une série d’articles d’analyse portant sur l’hégémonie libérale et la politique extérieure de Donald Trump.

 

Selon Walt, aux États-Unis, pour convaincre la population, les avocats de l’interventionnisme international amplifient les menaces, affirment que le monde est très dangereux et que la sécurité des Américains dépend d’une intense activité du pays à l’extérieur. Ils exagèrent les bénéfices de cette hégémonie libérale, affirmant que c’est la meilleure façon de réduire les dangers et d’augmenter la prospérité et l’expansion des valeurs sacrées. Enfin, ils diminuent les coûts de ces interventions extérieures. Les partisans d’un leadership international ont l’avantage sur ceux qui plaident pour des restrictions de celui-ci. Et ces derniers prennent le risque de passer pour des partisans d’États-Unis affaiblis et de mettre en danger leur sécurité.

Pour Walt, le risque zéro n’existe pas, mais l’actuelle menace que représente Al-Qaïda, Daesh ou toute autre organisation terroriste ne mérite pas l’attention obsessionnelle qui lui est portée. Il en était de même pour l’exagération concernant la possession d’armes de destruction massive par Saddam Hussein ou l’existence de liens entre l’Irak et Al Qaïda. On parle régulièrement d’un nouvel Hitler ou d’un nouveau Munich. Mais la menace que représentait Saddam Hussein ou même Ben Laden n’a rien à voir avec la puissance nazie. À l’inverse, avoir exagéré la menace que représentait Saddam Hussein a conduit à faire accepter la guerre d’Irak de 2003, qui est elle-même venue affaiblir la sécurité internationale, et notamment celle des États-Unis.

La naissance d’Al-Qaïda au début des années 1990 pour Walt est largement due à l’opposition à l’expansion du rôle global des États-Unis et notamment à ses interférences au Moyen-Orient. Si les États-Unis s’étaient retirés d’Arabie saoudite après la première guerre du Golfe, Ben Laden n’aurait peut-être jamais décidé d’attaquer l’ennemi lointain. Donc, au lieu de rendre l’Amérique plus sûre, les libéraux ont diminué sa sécurité.

Les 15 000 Américains tués chaque année par arme à feu créent moins de mobilisation que le terrorisme. Les accidents dans les salles de bain ou les éclairs tuent plus d’Américains chaque année que le terrorisme, pourtant, aucun politicien n’a déclaré la guerre ou lancé de campagne nationale contre les carrelages glissants, note Walt avec ironie.

Après les attentats du 11 septembre, Georges W. Bush déclarait à la télévision qu’il ne comprenait pas que l’on puisse détester les États-Unis sachant combien ils sont bons. Pour les Américains l’antiaméricanisme est un rejet des valeurs américaines et non la condamnation de la politique du pays. Les experts américains répètent en boucle que les opposants haïssent la liberté existant aux États-Unis, ce qui revient à absoudre de toute responsabilité Washington concernant l’hostilité des étrangers et permet de dire que rien ne peut être fait pour la réduire, que les ennemis de l’Amérique sont implacables et qu’il n’existe pas d’autres options que de les éliminer. Comme l’a déclaré Cheney en 2003, « on ne négocie pas avec le diable, on lui fait subir une défaite ».

Walt multiplie les citations de présidents et de secrétaires d’État portant sur le caractère exceptionnel des États-Unis, leur rôle unique pour répandre et gérer l’ordre libéral et l’attente, à cet égard, du reste du monde.

La technique habituelle consiste à nier le fait que l’hostilité étrangère ait quoi que ce soit à voir avec la politique étrangère américaine, mais n’est que l’expression de la jalousie, du ressentiment ou du rejet des valeurs américaines. Il existe un large consensus à estimer que le reste du monde est reconnaissant aux États-Unis de mener cette politique bienveillante et que seuls quelques dictateurs illégitimes et fauteurs de troubles veulent y résister.
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