L'édito de Pascal Boniface

« Le conflit israélo-palestinien » – 3 questions à Alain Dieckhoff

Édito
10 mai 2017
Le point de vue de Pascal Boniface
Alain Dieckhoff est directeur du Centre de recherches internationales, Sciences Po Paris. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Le conflit israélo-palestinien – 20 questions pour vous faire votre opinion », aux éditions Armand Colin.

Pourquoi la victoire de juin 1967 constitue-t-elle un cadeau empoisonné pour Israël ?

La guerre de 1967 modifie le statu quo territorial hérité de 1948 puisqu’Israël finit après six jours de combat par contrôler militairement la péninsule du Sinaï, le plateau du Golan, la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza. Mais contrairement à l’espoir de certains décideurs israéliens, cette retentissante victoire militaire et humiliante défaite pour les États arabes, ne conduit pas ces derniers à engager des pourparlers de paix. Au contraire, ils adoptent une posture intransigeante qui encourage Israël, gagné par un certain triomphalisme, à emprunter la voie de l’unilatéralisme (qui se manifeste dès fin juin par l’extension de la souveraineté israélienne à la vieille ville et aux faubourgs de Jérusalem). Israël s’engage alors, d’abord avec prudence, puis, sous la pression de groupes nationalistes religieux, habités par une idéologie messianique, dans une stratégie de colonisation qui ne connaîtra, en réalité, jamais de cesse. Aujourd’hui, plus de 370 000 Israéliens habitent en Cisjordanie (plus 200 000 à Jérusalem Est). Cette situation contribue en fait à rendre extrêmement problématique la création d’un État palestinien puisque son assise territoriale potentielle est grignotée par cette densification démographique régulière.

La guerre des six jours a également conduit à véritablement unir Israël aux États-Unis qui sont devenus son unique partenaire stratégique (à la place de la France). Ironiquement, la victoire d’Israël aura permis le retour des Palestiniens comme acteurs, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) étant reconnue dans les années 1970 comme leur seule représentante, d’abord par les États arabes, puis par un large segment de la communauté internationale.

En quoi l’Europe est-elle « non acteur » dans ce conflit ?

La position de l’Europe par rapport au conflit israélo-arabe est profondément paradoxale. D’un côté, le Proche-Orient a été, depuis les années 1970, un sujet de préoccupation constant de la Communauté économique européenne (devenue Union européenne en 1993) qui aura permis une coordination croissante des positions nationales des États membres et la constitution d’un véritable acquis de politique étrangère commune. D’un autre côté, l’Europe n’a pas été en mesure de traduire en action politique efficace cette convergence de vues, elle est demeurée un acteur marginal sur la scène régionale. Cet écart a toutes les chances de persister.

La position européenne s’est dès le début des années 1980 structurée autour de trois grands principes : le droit à l’existence de l’État d’Israël, le lien entre la restitution territoriale des territoires occupés en 1967 et l’instauration de la paix, le droit à l’autodétermination du peuple palestinien (qui passe donc par la création d’un « État souverain démocratique, viable et pacifique »). Dans la prise en compte du facteur palestinien, l’Europe a été incontestablement pionnière.  Pour autant, l’Europe pèse finalement peu sur les évolutions régionales. À cela il y a deux raisons majeures. D’abord, le caractère inter-gouvernemental de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) nécessite la constitution d’un consensus, toujours difficile à atteindre, entre 28 États membres. Ensuite, deux acteurs importants, à savoir les États-Unis et Israël, ne sont guère désireux de laisser une marge de manœuvre politique à l’UE, préférant rester dans un certain entre-soi.

Du coup, l’UE a surtout recours à ce qui est le plus facile : la diplomatie du carnet de chèque. Cette dernière s’est traduite par une aide massive aux Palestiniens dans trois domaines : aide au développement (infrastructures, projets économiques), aide humanitaire et soutien budgétaire à l’Autorité palestinienne.

Au Proche-Orient, plus qu’ailleurs sans doute, l’Europe mesure les limites évidentes du soft power. Aider, inciter, déplorer, dialoguer permet tout au plus d’accompagner les événements, pas de peser sur eux. Le déficit de puissance de l’UE persistera tant qu’elle n’aura pas une politique étrangère et de défense plus intégrée, ce qui n’est pas pour demain.

La paix est-elle impossible ?

Au cours des vingt-cinq dernières années, deux tendances parfaitement contradictoires sont apparues. D’un côté, l’idée que la solution au conflit israélo-palestinien passe par la coexistence entre deux États, Israël et la Palestine, a rallié un consensus de plus en plus large : des forces politiques dans les deux camps, des opinions publiques comme de la communauté internationale. Tous les plans de paix, déclarations et initiatives diplomatiques sont fondés sur ce paradigme.

D’un autre côté pourtant, les conditions de réalisation concrète d’un État palestinien ont paru s’éloigner de plus en plus avec la multiplication de faits accomplis par Israël : construction de colonies et de routes de contournement ; édification de check points, de barrages, de murs… Le nombre de résidents juifs en Cisjordanie (hors Jérusalem) est passé de 1200 en 1972 à 370 000 aujourd’hui ; 39 % des terres de Cisjordanie sont inclus dans le périmètre administratif des colonies et donc fermés à toute construction palestinienne. À cela s’ajoute la division politico-géographique persistante entre Gaza et la Cisjordanie qui compromet encore davantage la perspective de voir naître un État palestinien.

De plus, dans les deux camps, il existe des forces politiques puissantes, le Hamas et d’autres groupes islamistes du côté palestinien, des groupes nationalistes et religieux du côté israélien qui rejettent, pour des raisons évidemment diamétralement opposées, la perspective d’un partage territorial.

Dans un tel contexte, il est compréhensible de penser que la paix ne se réalisera jamais. Qu’elle soit aujourd’hui improbable est certain ; qu’elle soit particulièrement délicate à mettre en œuvre est tout aussi certain. Mais rien ne dit qu’elle ne pourra advenir un jour, lorsque, par un mélange de lassitude et d’intérêt bien compris, les deux protagonistes aux prises les uns avec les autres mesureront que les vertus de la paix l’emportent sur celles de la guerre.
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