L'édito de Pascal Boniface

Le modernisme de Marine Le Pen

Édito
15 décembre 2010
Le point de vue de Pascal Boniface

Selon un sentiment largement partagé, Marine Le Pen incarnerait une version moderne du Front national, loin des clichés de l’extrême droite à la papa que représenterait son père Jean-Marie. Fini les dérapages antisémites dont son père était coutumier, Marine Le Pen serait porteuse d’un projet d’une extrême droite respectable.

Aussi, ses déclarations comparant les prières de rue des Musulmans dans certaines villes à l’occupation pendant la Seconde Guerre mondiale ont provoqué un tollé et fait dire que le masque était tombé.
Marine Le Pen peut à bon droit jouer la surprise. Ses déclarations anti-Musulmans sont en fait dans la logique de son projet de modernisation du Front national. Dans la représentation d’un corps étranger qui ne serait pas intégrable en France, les Musulmans ont tout simplement remplacé les Juifs. Jean-Marie Le Pen était antisémite, Marine est islamophobe, il n’y a pas rupture mais continuum. On ressort aujourd’hui, sur les Musulmans, le même type d’arguments que l’on réservait aux Juifs dans les années 30. Ils ne sont pas comme nous, ils font peser un danger sur la République. Ils ont un plan secret pour imposer leur loi. Leur religion est incompatible avec notre société. Ils ne seront jamais français et resteront étrangers, et ce, quelle que soit la mention figurant sur leurs passeports. Dans les années 30, même s’il en avait la nationalité, un Juif n’était pas considéré comme tout à fait français. Aujourd’hui, cet argument est servi pour les Musulmans.

Mais les déclarations de Marine Le Pen s’inscrivent dans un ensemble. Elle est loin d’être la seule à tenir un discours d’exclusion ou de suspicion à l’égard des Musulmans. D’autres, sous couvert de défense de la laïcité, y compris à gauche, tiennent des discours qui, pour être moins violents que celui de Marine Le Pen, ne créent pas moins un sentiment général de méfiance à l’égard des Musulmans. L’image de l’Islam est souvent associée au terrorisme à l’extérieur et délinquance à l’intérieur, y compris chez des intellectuels ou responsables politiques qui se réclament de la gauche, dans des médias qui se veulent progressistes. Le Musulman modéré, trop souvent, doit être modérément musulman. Trop souvent, il devient radical aux yeux de certains s’il veut pratiquer son culte ; un Musulman modéré doit manger du porc, boire de l’alcool et ne pas croire en Dieu.

Les télégrammes diplomatiques de l’ambassade américaine révélés par Wikileaks dénotent une fine analyse politique sur les difficultés de la France à intégrer sa minorité musulmane. Il s’agit d’un défi majeur pour l’équilibre de notre société. Enjeu fondamental également pour lui permettre de continuer d’exercer un rayonnement qui dépasse son seul poids démographique et économique. Espérons que les déclarations de Marine Le Pen auront au moins le mérite de montrer où conduit l’entretien d’un climat anti-Musulmans, fût-il présentable, entretenu par des gens de gauche et développé au nom de la défense d’une laïcité radicale.
 


 

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