L'édito de Pascal Boniface

Quand « Hemetti » fait sa pub en France…

Édito
5 mai 2023
Le point de vue de Pascal Boniface
Au Soudan, deux généraux mettent actuellement le pays à feu et à sang pour conquérir le pouvoir et surtout les richesses du pays, et empêcher une transition démocratique qui avait été obtenue dans la révolte et le sang par le peuple soudanais en 2019.

Dans ce contexte, parler de guerre civile n’est pas adéquat. Les civils sont simplement victimes d’un conflit entre généraux pour le contrôle des ressources. Mais cet affrontement donne un éclairage différent à une tentative de relations publiques de l’un des protagonistes à destination du public français réalisé avant le début des hostilités.

Le fait de s’adresser à des agences de communication pour polir l’image d’un pays ou d’un dirigeant est une démarche qui n’a rien d’inhabituel. C’est sans doute dans cet esprit qu’il faut lire dans le numéro de l’hiver 2023 de la revue Politique internationale[1] l’interview de Mohamed Hamdan Daglo, vice-président du Conseil souverain de transition du Soudan, interview réalisée par Frederic Encel, spécialiste bien connu de l’Afrique.

Le ton est donné dès la première question « On ne vous connaît pas encore bien en Occident. D’où venez-vous ? » Le saint homme explique qu’il a dû prendre les armes en 2003 pour se défendre.

À une question sur les accusations d’exactions de « certaines des milices » qu’il contrôlait au Darfour, il répond qu’il n’a fait que se défendre et de défendre le peuple contre « les terroristes et les pillards ». Sans doute par pudeur, celui qui est également connu sous le nom de Hemetti ne dit pas qu’il a fait partie des milices Janjawids, responsables de nombreux crimes de guerre au Darfour avant d’en prendre la tête en 2013, à travers les Forces de soutien rapide (RSF).

Il ne rappelle pas plus qu’il a notamment pris part au massacre du village d’Adwa[2] en 2004, pas plus qu’il ne se vante d’avoir lancé l’opération « Été décisif » dans le Darfour en février 2014 où les RSF, selon Human Rights Watch, ont brûlé des villages et commis plusieurs crimes contre l’humanité – meurtres, viols de masse, torture de civils, pillages, déplacements forcés… Respectant son souci de modestie, l’intervieweur n’abordera pas ces points mineurs.

Hemetti a donc été un très proche d’El Bechir, participant initialement à la répression à Khartoum avant de saisir le vent et de procéder à son arrestation. Mais si El Bechir a bien été renversé, les militaires n’entendaient céder le pouvoir et ses avantages matériels.

L’intervieweur (habituellement adversaire autoproclamé des autocrates et défenseur du monde occidental) semble se satisfaire de sa réponse à propos des exactions, car la question qui vient ensuite est de demander s’il craint un acte de vengeance (sans doute pour avoir protégé le peuple contre les terroristes et les pillards) contre lui…

Hemetti réfute par ailleurs les accusations de détournements de 13 milliards de dollars (à noter que le PIB du Soudan était en 2021 de 34 milliards de dollars), qui seraient selon lui de « fausses informations » diffusées par les journaux occidentaux, dont CNN, le Times et le Guardian : « J’apprécie assez peu les leçons de morale des Occidentaux. »

« Je défends d’abord l’intérêt général et je rejette la corruption ! » déclare-t-il ensuite. Dont acte.

Hemetti souligne également que la France est très importante pour lui : « Nous souhaitons donc entretenir de bonnes relations avec Paris et développer une vraie coopération. ». Voilà donc un partenaire futur que nous aurions intérêt à bien traiter parce qu’il est favorable à la France qui est en difficulté sur le continent africain.

Il évoque le Soudan du Sud « ravagé par la corruption et les rivalités entre groupes ethniques », mais heureusement « Je me suis assigné comme mission de faciliter la paix. (…) Je suis le seul avoir sérieusement tenter de le faire et sans doute le seul à pouvoir y parvenir. »

La conclusion est magistrale. Il déplore ne plus pouvoir voir sa famille, car tout son temps est pris par le travail, mais il conclut-il : « je tiens absolument à respecter la hiérarchie : cette responsabilité est celle d’un numéro deux ; c’est le président Abdel Fattah al-Burhan le premier responsable de l’État ! Personnellement, à mon humble niveau, je suis satisfait de mon action et très fier de ce que j’accomplis pour mon pays. »

On ne peut pas prendre cet avis pour argent comptant si l’on peut dire.

 

[1] Frédéric Encel, « Le nouvel homme fort du Soudan », Politique internationale 178 (hiver 2023)

[2] https://www.la-croix.com/Monde/Soudan-general-Dagalo-conquete-pouvoir-2023-04-18-1201263830
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