L'édito de Pascal Boniface

Dix leçons sur le printemps arabe

Édito
3 octobre 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

Le printemps arabe a suscité une importante production éditoriale et souvent, la volonté de coller à l’événement – quand il ne s’agissait pas de répondre à une urgence éditoriale -, a conduit à une production de qualité inégale. Parfois l’envie de prendre la plume était due à la volonté d’effacer un soutien devenu subitement gênant aux régimes renversés.

Le livre que publie Jean-Pierre Filiu échappe à ces deux écueils.

Alternant fonctions diplomatiques et académiques, Jean-Pierre Filiu est devenu l’un des meilleurs connaisseurs français du monde arabe. Lorsqu’il était en poste en Tunisie, il mettait en garde les visiteurs français contre les dérives ultra autoritaires du régime au nom de la lutte contre l’islamisme. Il maintenait les contacts avec intellectuels et journalistes opposants.

Les 215 pages de son livre, La révolution arabe (éditions Fayard), se lisent rapidement, mais sont pleines d’enseignements supérieurs. C’est autour de 10 leçons sur le soulèvement démocratique du monde arabe que Jean-Pierre Filiu organise son récit.

Première leçon : les Arabes ne sont pas une exception qui aurait été immunisée contre les revendications démocratiques. Le 11 septembre a créé un effet déformant du monde arabe, vu au seul prisme de l’islam. Il rappelle que dans les semaines qui ont suivi les attentats du 11 septembre, un nombre record d’exemplaires du Coran ont été vendus dans les librairies occidentales comme si c’était dans ce livre sacré des musulmans que l’on pouvait trouver des explications à la catastrophe. Les néoconservateurs ont ceci de commun avec les djihadistes, les uns comme les autres sont persuadés que l’islam apporte toutes les réponses.

Les révolutions ont été essentiellement le fait de la jeunesse, elles se sont fait sans chef désigné, dans des pays habitués aux hommes forts. Elles sont venues faire voler en éclats l’alternative « moi ou le chaos » mise en avant par les régimes autoritaires quelle que soit leur diversité, avec une alternative posée entre la dictature et l’islamisme.

Jean-Pierre Filiu estime que les islamistes sont désormais au pied du mur. Il fait le pari, notamment pour la Tunisie, que le modèle turc l’emportera. Il écrit même « l’intégration harmonieuse d’Ennahda apparaît comme une garantie face aux provocations des groupuscules salafistes dont les démonstrations de force contre l’alcool et la prostitution ont été très mal ressenties dans les villes tunisiennes. »

Il souligne que les différents mouvements islamistes arabes ont été pris de court par les soulèvements démocratiques et qu’ils doivent désormais s’adapter à cette dynamique, la chute des autocrates les dépouillant de leur position hégémonique au sein de l’opposition.

La vague de fond démocratique est également un démenti cinglant de l’analyse des djihadistes. Les millions de manifestants arabes n’ont pas défié les régimes au pouvoir au nom d’un califat ou d’un émirat islamique, mais en faveur d’élections libres et de la lutte contre la corruption.

Si ces révolutions ont été faites dans un cadre national, Jean-Pierre Filiu est convaincu que la Palestine demeure un sujet essentiel : « Au cours des 20 ou 25 dernières années, la Palestine a été au cœur d’un flux constant d’informations, de commentaires et d’engagements à fort impact politique. » (p 175).

Reprenant la formule de Ghassan Salamé, il affirme que la solidarité avec la Palestine demeure « l’autoroute pour le cœur des arabes ».

Un livre précieux pour faire voler en éclats idées reçues et préjugés sur le printemps arabe.

Jean-Pierre Filiu, La révolution arabe, éditions Fayard, 2011, 215 pages.


 

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