L'édito de Pascal Boniface

Libye : le revers de la médaille

Édito
24 novembre 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

La satisfaction de voir Kadhafi être renversé, l’autocélébration croisée dans le système médiatique français de ce qui est présenté comme la victoire personnelle de Sarkozy et BHL, ne doit pas empêcher de faire un bilan – fût-il provisoire – de la guerre en Libye, qui échappe au manichéisme ambiant.

La critique principale est que les mentors de l’opération auraient joué les « idiots utiles de l’islamisme », puisque ce sont ces derniers qui vont in fine prendre le pouvoir. Malgré l’ironie consistant à renvoyer à BHL une critique qu’il a lui-même souvent employée, l’argument est contestable. Il avait déjà été servi lors des chutes de Ben Ali et Moubarak. La crainte des islamistes a trop longtemps protégé les dictateurs. Elle ne doit pas empêcher les peuples de s’exprimer librement. On verra quel choix les Libyens feront dans le futur. Il est encore trop tôt pour savoir comment la Libye évoluera entre les deux scénarios extrêmes du chaos et de la guerre civile ou d’une démocratie stabilisée. Reste quand même la différence fondamentale de révolution populaire nationale en Égypte et en Tunisie, d’une guerre civile dans laquelle la victoire est due à des forces armées étrangères comme en Libye. La légitimité des nouveaux gouvernants en est forcément affectée. Un régime mis en place avec l’aide d’armées étrangères – et ici occidentales – est plus faible.

Mais il y a un prix à payer plus lourd dans les conditions qui ont conduit au renversement de Kadhafi. La résolution 1973 a démontré que, contrairement à ce que disaient certains, on pouvait trouver des solutions communes à des crises majeures avec les Russes et les Chinois. Que ceux-ci n’étaient pas forcément des maniaques du veto anti occidental. Le sentiment qu’ils ont aujourd’hui été roulés dans la farine, lorsqu’on est passé de la protection des populations au changement de régime, fait qu’il est désormais plus difficile de trouver un accord avec eux sur la Syrie ou sur l’Iran. La victoire en Libye s’est donc faite au détriment de la notion de communauté internationale, qui pour une fois avait été mise en oeuvre lors de l’adoption de la résolution 1973. Il faut remarquer que la méfiance par rapport aux Occidentaux n’est pas le fait de la Russie et de la Chine, mais également des démocraties émergentes comme l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud.

Le concept même de « responsabilité de protéger » – concept développé par Kofi Annan après la guerre d’Irak en 2005 – un progrès majeur évitant d’avoir à choisir entre l’ingérence et l’impuissance, d’éviter l’impunité des tyrans sans favoriser la traditionnelle politique de puissance des Occidentaux, a été mis à mal. Il va être extrêmement difficile de l’invoquer dans le futur.

La reconnaissance unilatérale par la France du CNT, à la veille d’un Conseil européen laissera des traces dans les relations franco-allemandes. Cela a accru la distance entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, accusé de vouloir jouer solo et de tirer la couverture à lui. La politique européenne de sécurité commune en a été affectée.

On ne sait pas encore quel était le coût humain de la guerre, les évaluations varient beaucoup. S’il est probable que les pires exactions ont été commises par les troupes de Kadhafi, celles du CNT ne sont pas exempts de reproches.

Les Africains qui se trouvaient en Lybie ont été victimes d’un amalgame les assimilant collectivement aux mercenaires de Kadhafi. La responsabilité de protéger n’a pas agi en leur faveur.

Bachar El-Assad continue sa répression sauvage. Pour le moment, l’opposition syrienne continue de refuser une intervention militaire étrangère. Peut-être réussira-t-elle à renverser le dictateur de Damas à un coût humain moins lourd que ne l’a été la chute de celui de Tripoli.

Si tel était le cas le bilan global de l’intervention en Libye devra être remis en cause et réévalué à la baisse. Mais tout va surtout dépendre de l’évolution interne de la Libye. Les différentes parties du CNT vont-elles continuer à s’entendre, ou se déchirer, maintenant que ce qui les unissait – à savoir Kadhafi – a disparu ? Si dans quelques mois une Libye pacifique et prospère se met en place, l’opération aura été un succès. Si des affrontements internes plongent le pays dans le chaos, il en ira autrement.
 


 

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