L'édito de Pascal Boniface

Philippe Seguin, in memoriam.

Édito
6 janvier 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

Le 7 janvier 2010, Philippe Séguin nous quittait. La très vive et quasi unanime émotion qu’a suscité sa disparition a prouvé le caractère exceptionnel du personnage. Il a laissé un vide qui n’est pas près d’être comblé. Un colloque lui est consacré à l’Assemblée nationale sous le titre « La politique une affaire de volonté ». Philippe Seguin était en effet l’image même de la volonté au service d’un projet politique, qui ne s’arrêtait pas aux compromissions, arrangements et combines. On aurait pu également titrer ce colloque « une affaire de sincérité et de dignité ». Je renvoie à la lecture du livre, qu’il avait publié au Seuil en 2003, Itinéraire dans la France d’en bas, d’en haut et d’ailleurs, livre fait d’une introspective pleine d’humour et qui évitait l’auto-justification ou l’auto-célébration, si fréquentes en la matière. Il y évoquait ses souvenirs d’enfance et sa carrière politique avec ses succès et ses échecs.

Si on lui attribuait un caractère impossible, c’est surtout parce qu’il avait conservé intacte sa capacité d’indignation et de révolte face au mensonge. « L’argent, le patrimoine sont secondaires » écrivait-il, « il faut les mépriser pour être libre de servir ses convictions, ses idées et ses principes. Le désintéressement, le recul, le souci de la vérité sont ainsi des vertus cardinales. » (p. 39) où il poursuivait « jamais je ne me suis volontairement, consciemment résolu à faire du mensonge une arme politique » (p. 47).

C’est une banalité que de rappeler qu’il avait chevillé au corps le sens du devoir, de l’État, le refus de la démagogie. Le problème est qu’il est malheureusement peu banal de rencontrer des gens de cette trempe.

J’avais fait sa connaissance personnelle en février 2000 à Montréal et j’ai été invité pour participer avec lui, qui était à l’époque enseignant au Canada, à une conférence sur la guerre du Kosovo.

Lors de notre rencontre, je lui ai dit lui avoir apporté deux choses de Paris : le numéro spécial de la revue de l’Iris, que nous venions de consacrer à la guerre du Kosovo, et le France football de la semaine, et que je me doutais bien où allait sa préférence.
Nous partagions bien des idées sur les affaires géopolitiques. Ni lui, ni moi n’étions totalement convaincus par les arguments justifiant la guerre du Kosovo. La vision manichéenne qui était faite de ce conflit, le recours à la guerre sans le feu vert du conseil de sécurité de l’ONU, nous gênait. Nous avions eu évidemment la même position avant, pendant et après la guerre d’Irak estimant que celle-ci allait créer plus de difficultés qu’elle n’apporterait de solutions et que l’unilatéralisme de George Bush conduisait à une impasse. J’étais en phase avec lui sur l’ensemble des questions stratégiques, qu’il s’agisse de la mondialisation, de la multipolarisation du monde, du conflit au Proche-Orient et la nécessité de tout faire pour éviter le choc des civilisations, du rôle particulier que pouvait tenir la France à cet égard, ou de la conviction que dans un monde globalisé, l’État continuerait à jouer un rôle central comme acteur des relations internationales. Je n’avais pas cependant ses fortes réticences face à la construction européenne.

Il était devenu membre du conseil d’administration de l’Iris en 2002, son soutien ne nous a jamais fait défaut. En toutes circonstances, y compris lors des périodes les plus difficiles, en outre les positions que j’avais prises sur le conflit du Proche-Orient ont failli entraîner mon éviction de l’Iris ou la disparition de ce centre.

Lorsqu’il prit la présidence de la fondation du football, il me fit l’honneur de me demander d’en être le secrétaire général à ses cotes. Sa passion pour le foot était liée au caractère populaire de ce sport, il y voyait une alchimie subtile entre cohérence collective et initiative individuelle. Il appréciait sa vocation fédérative qui faisait que toutes les catégories sociales, toutes les opinions politiques se retrouvaient au stade et, bien sûr, se réjouissait que le stade soit le dernier lieu où sans gêne ni complexe on agite le drapeau et on chante à pleins poumons l’hymne national.
Il avait éprouvé très tôt sa passion, ce qui le distinguait de ses condisciples de l’ENA. Il fut l’un des 484 spectateurs du match mythique O.M. – Forbach, lorsque l’équipe de Marseille était en seconde division, et qui marque le record de la plus faible assistance jamais vu au Stade-Vélodrome. En 1973, sur fond de conflits internes au monde du football, il fit un rapport qui posait des principes sur lesquels le football professionnel allait vivre plusieurs décennies.

Je me souviens de son clin d’œil malicieux lors de l’Euro 2008 « Si la Turquie gagne l’Euro, quelle tête va faire Sarkozy ! » Je me souviens également de notre dépression commune à Vienne lors du match Autriche-France : après un Euro raté, Les Bleus avaient sombré dès le premier match de qualification pour la Coupe du monde 2010. Je me souviens que s’il avait été choqué par la main de Thierry Henry, il l’avait été encore plus par les commentaires des moralistes de pacotille qui profitaient de cet épisode pour condamner un football trop populaire à leurs yeux.

Il n’a pas vécu le douloureux épisode de la Coupe du monde en Afrique du Sud. J’imagine facilement les colères que cet épisode aurait déclenchées chez lui. Mais ce supporter de l’équipe de France aurait apprécié le nouveau sourire apporté par Laurent blanc aux bleus. De même que ce supporter inconditionnel, et très souvent déçu du Paris-Saint-Germain (mais Nick Hornby n’a-t-il pas dit de façon définitive que l’essence du supporter c’était la déception), aurait apprécié le courageux plan de Robin Leproux pour déloger des tribunes du Parc, les individus violents et racistes qui ont fait tant de mal à l’image du club.
 


 

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