L'édito de Pascal Boniface

La lettre à laquelle Jean-Luc Hees n’a jamais répondu

Édito
1 octobre 2012
Le point de vue de Pascal Boniface
Chacun sait que Jean-Luc Hees a été un très grand journaliste.  
Chacun sait que sa nomination à la tête de Radio France n’était pas de ce fait illégitime.  
Chacun sait cependant que cette nomination avait cependant pour objet principal de permettre l’arrivée de Philippe Val, ami du couple Sarkozy et alors en grande difficulté à Charlie hebdo, à la tête de France Inter.  
Chacun sait que Philippe Val fait un grand écart permanent entre ses proclamations voltairiennes et ses pratiques staliniennes.  
Chacun sait que la pri-Val-tisation qu’il a mis en en place à France Inter (« tout pour mes amis rien pour ceux que je n’aime pas ») ainsi que sa place à la direction ne serait pas possible sur aucune autre radio publique d’un État démocratique.  
Chacun sait que de nombreux médias et leaders politiques qui proclament le caractère sacro-saint de la liberté d’expression se taisent devant ses pratiques inadmissibles par complicité ou par peur des représailles.  
Aussi n’est-il pas étonnant que je n’ai pas reçu de réponse à cette lettre envoyée à Jean-Luc Hees, le 14 juin 2012.

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Monsieur le Président,

Le 2 mai 2011, j’étais invité à l’émission de France Inter « Le téléphone sonne », consacrée ce jour-là à la mort de Ben Laden. L’émission s’est déroulée normalement.
Selon des sources concordantes de journalistes de Radio France, en entendant que j’étais invité dans cette émission, Philippe Val a explosé de colère. Dans une fureur incontrôlée, il demandait à ce que je ne sois plus invité dans cette émission, ni dans une autre de France Inter et fit passer la consigne aux autres animateurs, ainsi qu’à la rédaction.

Monsieur Val n’aime guère mes positions. Il ne me pardonne surtout pas de l’avoir égratigné dans le livre « Les intellectuels faussaires ».

Il faut reconnaître qu’il sait être efficace car sa consigne a été respectée. Je n’ai plus été invité depuis dans aucune émission de France Inter depuis cette date, c’est-à-dire il y a un an presque jour pour jour, y compris dans celles où j’étais régulièrement invité. Je ne l’ai plus été pour commenter l’actualité, ni parler de mes livres.
Philippe Val a prouvé depuis son arrivée qu’il pouvait faire quitter l’antenne aux animateurs qui lui déplaisaient, ces derniers se méfient désormais.

Je suis encore invité dans les journaux de France Inter, la rédaction étant plus soudée et donc plus en mesure de résister aux pressions extérieures contrairement aux animateurs qui, par définition, sont isolés. Un animateur auprès duquel je m’étonnais de ce procédé me répondit « c’est normal si tu critiques Bouygues, tu ne seras pas invité sur TF1. »

Le problème est que France Inter n’est pas TF1. Ce n’est pas une station privée, elle appartient au service public. Il est tout à fait anormal que le directeur d’une chaîne interdise d’antenne quelqu’un qui aurait le double malheur d’être en désaccord avec lui et de s’être un peu gaussé de lui dans un livre, il n’est pas propriétaire de la chaîne. On notera par ailleurs que c’est d’autant plus curieux de la part de quelqu’un qui prône partout le principe de la liberté totale de caricatures et qui se présente régulièrement comme voltairien, prêt à se battre pour permettre à quelqu’un en désaccord avec lui de s’exprimer. C’est tout à fait le contraire.

Vous pourrez aisément, Monsieur le Président, trouver confirmation de ce que j’avance. Je serai donc très heureux de connaître votre sentiment sur cette question qui me parait relever d’une dérive très grave du service public et qui ne me semble pas correspondre à vos valeurs et à votre déontologie.

Dans cette attente, je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de ma considération distinguée.

Pascal BONIFACE
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