L'édito de Pascal Boniface

OTAN : de la mort cérébrale à la résurrection face à la Chine

Édito
4 décembre 2020
Le point de vue de Pascal Boniface
En 1987, en pleine Perestroïka, Arbatov, conseiller de Gorbatchev, annonçait aux Occidentaux « nous allons vous rendre le pire des services : vous priver d’un ennemi ». Il avait raison sur la volonté de Gorbatchev de mettre fin à l’hostilité entre l’Est et l’Ouest. Il avait tort sur la capacité extraordinaire de l’OTAN à se créer des ennemis pour assurer sa survie.

En novembre 2019, Emmanuel Macron déclarait que l’OTAN était en état de mort cérébrale. Cela créait un choc profond dans les milieux atlantiques. Le président français faisait référence à la Turquie qui venait d’attaquer les Kurdes syriens dont le rôle avait pourtant été majeur aux côtés des Occidentaux dans la défaite de Daech. Il faisait également référence aux déclarations du président américain qui n’avait de cesse de clamer sa méfiance à l’égard de l’OTAN. Le secrétaire général de l’OTAN avait alors mis en place un groupe d’experts chargé de rédiger un rapport qui lui a été rendu le 25 novembre dernier. À la lecture de celui-ci, on a le sentiment que l’OTAN est dans une santé époustouflante, du moins que les thèses américaines sont vraiment triomphantes, qu’il n’y a pas de remise en question de l’alliance. Tout va très bien, Madame la Marquise. Quand on lit ce texte, on réalise que la France est bien isolée dans sa quête de l’autonomie stratégique européenne et que c’est au contraire l’agenda américain – qui va certainement être renforcée par l’arrivée de Biden au pouvoir – qui règne sans partage sur l’OTAN.

L’Alliance atlantique se porterait donc à merveille et semble vouloir continuer d’imposer un agenda américain à des pays européens qui apparaissent tout à fait consentants. Le rapport se félicite qu’alors qu’elle entre dans sa huitième décennie d’existence, l’OTAN est l’alliance qui a le plus merveilleusement réussi dans l’histoire et que, 30 ans après la fin de la guerre froide, elle a survécu à toutes les épreuves qui auraient pu l’atteindre.

Les auteurs estiment qu’il faut renforcer les consultations entre alliés ainsi que le rôle politique de l’OTAN. Mais à travers l’expression « renforcer le rôle politique de l’OTAN » on devine « renforcer le rôle politique des États-Unis au sein de l’OTAN et parmi les pays européens ».

Les auteurs du rapport rappellent que l’alliance a toujours été basée sur des valeurs partagées. Cela est contestable. N’oublions pas que le Portugal salazariste a intégré l’alliance dès le départ et que les différents coups d’État militaires n’ont jamais mis en cause le statut de la Turquie ni celui de la Grèce des colonels de 1967 à 1974.

Il y aurait eu un tournant pris en 2014 lorsque la Russie a annexé la Crimée en violation du droit international, c’est vrai. Mais le rapport omet la guerre du Kosovo de 1999 contre la Yougoslavie, qui elle aussi était parfaitement illégale. Lorsque le document appelle au plein respect du droit international, on peut penser que c’est du comique involontaire si on se rappelle cette même guerre du Kosovo ou celle d’Irak.

Le texte insiste sur la nécessité de maintenir l’unité de l’alliance, sans dire qui l’a mise à mal auparavant, s’agissant de la nécessité de contrer les influences de la Russie et de la Chine, qui cherchent à jouer sur les divisions de l’alliance. Est également évoquée la nécessité de lutter contre le terrorisme, certes, sans pour autant proposer de réelle réflexion sur les causes du terrorisme, dont on peut penser que par exemple la guerre d’Irak a joué un rôle important dans son développement.

Il y est également évoqué l’attachement de l’OTAN à l’Arms control, qui souligne un certain déni de la réalité étant donné que les Américains n’ont pas cessé, sous Trump et même auparavant, d’attaquer les accords d’Arms control, notamment le traité FNI (Forces nucléaires à portée intermédiaire) ou le traité SALT 1 (Strategic Arms Limitation Talks).

Il y a également un passage consacré au fait que l’OTAN aurait tout fait pour impliquer la Russie dans la création d’une architecture de sécurité après la Guerre froide, mais que c’est la Russie qui l’aurait rejetée. Une déclaration quasi comique quand on se rappelle l’extension de l’OTAN après la Guerre froide, contraire aux promesses faites à Gorbatchev, le déploiement du système antimissile, la guerre du Kosovo, la proposition de Medvedev sur une architecture européenne de sécurité rejetée par l’OTAN sans même avoir été examinée.

Les auteurs du rapport insistent également sur la nécessité de consacrer 2% du PIB aux dépenses militaires et d’investir dans de nouveaux équipements – un appel à acheter américain assez clair. Ils mettent d’ailleurs en garde contre le fait que le Covid-19 et la crise économique suscitée par la pandémie ne doivent pas interrompre l’effort militaire et qu’il faut donc continuer à alimenter le complexe militaro-industriel américain.

On peut dire que la principale résistance concerne la Chine, qui est présentée comme un rival systémique, même si le texte nuance en affirmant qu’elle ne représente pas une menace militaire de la même nature que la Russie. Juste pour mémoire, les dépenses militaires russes sont de 60 milliards de dollars, les dépenses militaires des pays européens de l’OTAN de 260 milliards de dollars et celles des États-Unis de plus de 700 milliards de dollars. Donc la menace russe peut être sujette à caution. Mais le rapport insiste sur la menace globale que fait peser la Chine, non pas une menace militaire directe, mais une menace multiforme. Le rapport appelle à une consultation politique des membres de l’Alliance par rapport au rival chinois, qui va jusqu’à l’étude de la 5G. Il y a clairement une instrumentalisation des États-Unis pour emporter avec eux les pays européens membres de l’OTAN dans leur lutte globale contre la Chine. Est-ce le rôle de l’OTAN ? Est-ce que l’OTAN doit élargir ses missions au point de braquer dans son viseur sur la Chine ? C’est un débat qui doit être ouvert, mais que l’OTAN semble vouloir refermer aussitôt « on ne discute pas de la solidarité avec les États-Unis par rapport à la Chine ».

Un autre passage important concerne le fait que selon le rapport, toutes les démocraties ont vocation à adhérer à l’OTAN. L’Ukraine et la Géorgie sont mentionnées directement, l’Alliance aurait donc encore vocation à s’élargir, ce qui peut paraitre contradictoire avec l’appelle au dialogue avec la Russie.

L’OTAN devrait continuer à s’élargir pour occuper le plus grand espace. Et bien sûr, c’est vis-à-vis de la Chine que cela est le plus notable. Le rapport recommande de développer continuellement les relations avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée, en plus d’une mention spéciale concernant l’Inde. L’Alliance aurait une sorte de volant asiatique. S’il est difficilement envisageable que ces pays adhèrent à l’OTAN, l’idée semble être de développer les relations avec eux au maximum dans une grande coalition antichinoise.

Il est également dit que l’OTAN doit devenir le principal forum de consultation pour les questions spatiales, mais également s’occuper de son flanc Sud et pas uniquement de son flanc Est.

 

À la lecture de ce rapport, on est frappé par la puissance du soft Power américain. Et encore, un représentant français faisait partie du groupe d’experts en charge, qu’aurait été ce rapport si ça n’avait pas été le cas ? Un tel texte témoigne de l’adhésion volontaire des pays européens à l’agenda stratégique américain. Les Européens apparaissent tétanisés à l’idée que les Américains puissent les abandonner. Alors ils croient à toutes les fables que Washington leur serre et demandent finalement à ne pas être privés de leurs droits et surtout à rester dans ce cadre atlantique. Au-delà de l’influence américaine, ce qui me paraît réellement dangereux c’est l’extension tous azimuts de l’OTAN : qu’il s’agisse de l’extension géographique ou thématique, elle se fait systématiquement sur un agenda américain et purement américain. L’OTAN a-t-elle vocation à devenir une alliance de défense contre la Chine ? Est-ce qu’elle doit le faire parce que les États-Unis sont en compétition avec la Chine pour la suprématie mondiale ? Est-ce que cela doit constituer l’agenda européen ? J’en doute, mais en tous les cas les thèses de l’autonomie stratégique européenne, que la France défend, apparaissent bien minoritaires lorsqu’on lit ce rapport. C’est ça là la grande réussite des États-Unis : parvenir à faire croire aux Européens qu’ils ont besoin de cette soumission volontaire, que la Russie est une menace aussi grande que l’était l’Union soviétique alors que tous les chiffres le démentent. On constate que l’OTAN une formidable machine à fabriquer de l’opinion et que c’est un succès. C’est une réalité désagréable, mais c’est une réalité.

L’OTAN pratique une langue de bois monumentale, une absence totale d’autocritique. Elle a besoin de désigner des ennemis pour survivre et même prospérer. Cela se fait au prix d’une dépendance volontaire des Européens à l’égard des Américains. Leur domination sera plus simple avec Biden qu’avec le brutal Trump, mais elle restera une domination. L’OTAN ne dit pas un mot de la législation extraterritoriale américaine. N’est-ce pas autant une atteinte majeure à la souveraineté des pays européens ?

 
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