L'édito de Pascal Boniface

Pourquoi j’ai accepté d’écrire un livre-débat avec Gilles-William Goldnadel

Édito
19 novembre 2010
Le point de vue de Pascal Boniface
Pourquoi ai-je accepté d’écrire ce livre-débat avec Gilles-William Goldnadel ? Beaucoup s’en sont étonnés, et de nombreuses personnes m’ont déconseillé de le faire. N’y avait-il pas un piège dans lequel j’allais tomber ? Je suppose que Gilles- William Goldnadel a eu droit de son côté aux mêmes arguments. N’allais-je pas donner d la crédibilité à quelqu’un que je devrais plutôt combattre idéologiquement ? Curieux cette façon d’évoquer le terme de « piège » dès qu’il est question d’un débat contradictoire. Par définition, il ne peut se faire qu’avec quelqu’un avec lequel on n’est pas d’accord.

Je l’ai fait d’abord sur l’insistance amicale de David Reinharc et de sa collaboratrice Paulina Dalmayer, dont j’ai fait la connaissance lors d’une émission de radio sur Judaïques FM, à laquelle ils m’avaient invité au printemps 2010. Un courant de sympathie est passé immédiatement entre nous. David Reinharc a lancé une maison d’édition, projet dont on ne peut que se féliciter, et lui et Paulina sont parvenus à me convaincre qu’une contribution directe de ma part serait une forme de soutien. Je n’en suis pas certain mais je n’ai pu résister à leur sympathique insistance. Je leur souhaite en tous les cas bonne chance, et le succès que leur intégrité intellectuelle – phénomène de plus en plus rare – mérite.

C’est peu dire qu’il y a beaucoup de choses qui nous séparent Gilles-William Goldnadel et moi. C’est un militant actif de la cause israélienne. Il est très présent dans les instances qui militent en faveur d’Israël et au sein des institutions communautaires juives françaises. Je ne me considère pas comme un militant de la cause palestinienne. Je ne suis pas impliqué dans les différentes associations qui existent sur ce point.

Je suis un généraliste des relations internationales qui, initialement, n’avait pas travaillé sur le Proche Orient, et qui s’est rendu compte progressivement de l’importance croissante de cette région sur un plan stratégique. Cela m’a conduit à m’intéresser de plus près au sujet, de faire des articles critiques à l’égard du gouvernement israélien, et être l’objet d’une polémique visant de ce fait à me faire passer pour antisémite ou complice du terrorisme islamiste au motif d’avoir émis l’idée que l’occupation par Israël des territoires palestiniens n’était pas justifiable, ni moralement, ni stratégiquement.

Un véritable débat miroir aurait opposé Gilles-William Goldnadel à un responsable d’une association pro-palestinienne, ou un représentant de la communauté musulmane. Mais j’ai accepté ce débat pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, j’aime débattre. Le débat contradictoire, à condition qu’il y ait un respect mutuel de la parole de l’autre – ce qui fut toujours le cas dans nos échanges avec Gilles-William Goldnadel – est toujours stimulant intellectuellement. Il permet de pousser plus loin l’analyse.
Il y a trop de débats qui en sont des faux, qui mettent en scène une opposition factice pour faire dialoguer deux personnes en fait objectivement complices et qui organisent un faux débat dont l’unique et véritable objet est une entreprise de mutuelle auto célébration.
Gilles-William Goldnadel ne se cache pas. Il ne s’invente pas de fausses raisons sociales pour masquer un discours, et ne dissimule pas son engagement communautaire. On peut être en désaccord avec lui, mais il parle ouvertement. On sait d’où il s’exprime. Avec lui, les choses sont claires, ce qui n’est pas le cas de nombreuses autres personnes qui prennent des postures comparables aux siennes mais n’arrivent pas à assumer leurs positions coincées entre (faux) universalisme affiché et communautarisme mal assumé.

Mais résumer les positions de Gilles-William Goldnadel à un soutien à Israël serait réducteur. En fait, un autre point fondamental nous sépare avec Gilles-William Goldnadel, au-delà du Proche Orient. Et c’est un sujet capital pour l’avenir de notre politique étrangère et de la sécurité mondiale. La France doit-elle avant tout être assimilée au monde occidental ou répond-elle à une définition plus large ?
Gilles-William Goldnadel se rattache au courant de pensée occidentaliste. Je pense que l’ADN stratégique de la France est plus complexe et multiple.

Deux types de personnes m’ont déconseillé de débattre avec lui. Des militants pro-palestiniens, parce qu’il les a combattus vivement. Et également des Juifs engagés politiquement à gauche, parce qu’il appartient à la droite de la communauté. J’ai accepté de débattre avec lui parce qu’il n’y a pas assez de débats dans ce pays. De plus en plus, l’espace de liberté intellectuelle se restreint, la censure et pire encore, l’autocensure se développent. Chacun calcule soigneusement ses propos pour ne pas être pris dans le feu de la tourmente de la critique médiatique et intellectuelle. Il y a des sujets qui deviennent tabous. Cela est extrêmement grave parce que souvent, ils sont tabous parce que importants. Raison même qui devrait permettre d’en débattre ouvertement et dignement.

Le conflit du Proche-Orient, la question de l’antisémitisme, le débat sur le communautarisme sont parmi les plus sensibles, pour ne pas dire explosifs, en France. Ils déclenchent les passions, ont fait se fâcher des amis de longue date, déchirent parfois les familles.
Je pense que pour toutes ces raisons, il faut justement en parler, et ne pas penser qu’occulter le débat résoudra le problème. On doit pouvoir discuter librement et ouvertement de ces sujets, sans crainte. Mieux vaut le débat que l’invective, ou le règne du silence imposé, ou de l’autocensure. C’est pour desserrer l’étau des contraintes et combattre ceux qui en France veulent sournoisement instaurer une forme de censure ou de maccarthysme, que j’ai accepté le principe de ce livre avec Gilles-William Goldnadel.

"Sans concessions – Conversations avec David Reinharc" (Editions David Reinharc) de Pascal Boniface & Gilles William Goldnadel
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