L'édito de Pascal Boniface

« Péchés capitaux » – 3 questions à Francis Gutmann

Édito
8 février 2016
Le point de vue de Pascal Boniface

Ambassadeur de France, Francis Gutmann est président du Club des vingt, instance de débats dont l’ouvrage « Péchés capitaux : les 7 impasses de la diplomatie française », paru aux Éditions du Cerf, propose un état synthétique.


Vous parlez d’un alignement de la France sur les États-Unis. Qu’est-ce qui vous conduit à ce constat sévère ?


De Charles de Gaulle à Jacques Chirac, la France a toujours été l’alliée des États-Unis sans pour autant toujours s’aligner sur eux. Si elle en était solidaire en cas de crise grave, pour le reste elle arrêtait ses propres positions qui pouvaient être différentes de celles des Américains. Depuis Messieurs Sarkozy et Hollande, sa vision du monde est pratiquement calquée sur celle des États-Unis. Elle a l’ambition affichée de devenir leur alliée privilégiée. Elle ne fait pratiquement rien sans avoir d’abord pris l’attache de Washington et de façon générale elle évite de se distinguer de celui-ci. Elle a rejoint l’Organisation Militaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN)[1] . En Syrie, elle a envisagé une intervention militaire, comme les États-Unis, et y a renoncé quand ceux-ci ont abandonné ce projet. Pour la Russie, sa politique est largement empreinte de l’esprit de la guerre froide que les États-Unis conservent à son égard bien qu’elle ne soit plus soviétique. Et on pourrait multiplier les exemples de ce type.


Vous réclamez la suppression de l’application extraterritoriale de la législation américaine comme préalable à la poursuite des négociations sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP). Êtes-vous optimiste sur ce point ?


La projection extraterritoriale de la législation américaine peut paraître logique du point de vue des États-Unis. Mais elle a peu à peu abouti à un véritable abus de position dominante, au point que le procureur général des Etats-Unis a déclaré que « toute entreprise étrangère susceptible de faire du mal à l’économie américaine est soumise à la loi des États-Unis ».
Il n’y a pas de parade unique à cet abus encore qu’un faisceau de parades peut être envisagé. Mêler la négociation du TTIP à cette question d’extraterritorialité peut être une forme de parade. Mais en tout état de cause, il ne semble pas possible de négocier en même temps un Traité visant à renforcer la coopération économique transatlantique et de ne pas mettre les pays éventuellement signataires sur le plan d’égalité qui doit être le leur. Il est vrai que malheureusement non seulement Bruxelles, mais également plusieurs de nos partenaires européens, risquent de ne pas nous suivre dans ce sens.


Croyez-vous vraiment que notre retour dans les organes militaires intégrés de l’OTAN ait terni l’image de la France à Pékin ?


Le Général de Gaulle avait décidé de la sortie de la France de l’Organisation Militaire Intégrée pour qu’elle conserve la pleine souveraineté de ses décisions et de ses engagements. Monsieur Mitterrand avait entièrement confirmé cette position.


Qu’on le veuille ou non, l’Organisation Militaire Intégrée de l’OTAN est un instrument privilégié au service de la sécurité américaine alors même que depuis la chute de l’Union Soviétique la compétence de l’Alliance s’étend désormais à l’ensemble du monde.


Il est donc clair que, vu de Pékin, notre retour dans l’Organisation ne pouvait qu’affecter l’image d’indépendance de la France, image qui était un élément essentiel de nos rapports avec la Chine.



[1] La France du Général de Gaulle s’était retirée du commandement militaire intégré de l’Alliance en 1966. Sarkozy l’a réintégrée en 2009.
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