L'édito de Pascal Boniface

Attentats : parler de 3e guerre mondiale, c’est donner trop d’importance aux terroristes

Édito
3 mars 2015
Le point de vue de Pascal Boniface

À quelques jours d’intervalle, le terrorisme a frappé l’Europe à deux reprises. Après les attentats survenus à Paris début janvier, c’est le Danemark qui a été touché, le 16 février dernier. Une double fusillade a fait deux morts et cinq blessés à Copenhague, la capitale du pays. Comment faire face à la menace terroriste ? Éclairage de Pascal Boniface, directeur de l’Iris.


Dans son ouvrage majeur sur les relations internationales, « Paix et guerre entre les nations », publié en 1962, Raymond Aron définissait le terrorisme comme une « action de violence dont les effets psychologiques sont hors de proportion avec les résultats purement physiques » [1]. Ceci reste toujours exact aujourd’hui.


Les attentats de Paris et de Copenhague sont venus renforcer le sentiment d’une insécurité générale en Europe occidentale face à la menace terroriste. Il faut se rendre à l’évidence : quels que soient les efforts en matière de renseignements et de protection, il n’y a pas de risque zéro.


Oui, chacun de nous peut être victime


Les terroristes peuvent frapper à tout moment. Chacun de nous peut être victime, même si certaines cibles sont plus en danger (les lieux communautaires juifs, les forces de l’ordre qui les protègent, certaines personnalités sous le coup de fatwas, etc.).


Rien de plus facile que de commettre un attentat. Déposer une bombe dans la rue, dans un magasin, mitrailler un lieu protégé… Ceux de Paris et de Copenhague n’ont pas été commis par des professionnels parfaitement organisés au sang-froid indiscutable.


Si on devait prendre les mêmes mesures de protection pour les transports urbains que celles prises pour les déplacements aériens, plus personne ne serait en mesure de prendre le métro. Déposer une bombe dans un train qui explose après l’arrêt auquel un terroriste descend permet des dégâts énormes sans même qu’il risque sa vie.


Les attentats de janvier ont été les plus meurtriers depuis 50 ans en France. Ils ont néanmoins fait moins de morts que n’en font chaque année les accidents aux passages à niveau. Par exemple, nous avons chacun plus de risque d’être tué par un automobiliste qui envoie un SMS que par un terroriste.


Ne pas sur-dimensionner la menace


Bien sûr, un accident n’est pas comparable avec un assassinat commis volontairement pour des motivations haineuses. Mais, s’il ne s’agit pas de nier la menace terroriste, il n’est pas non plus pertinent de la sur-dimensionner.


Dans nos sociétés, cela ne doit pas conduire à la censure ou à l’autocensure. Les critiques de l’islam, même celles excessives, relèvent du débat d’idées, pas de la violence. Encore faut-il faire en sorte de ne pas aggraver la menace. En ce sens, parler de troisième guerre mondiale est largement exagéré. On pourrait en parler s’il y avait des centaines de morts chaque mois. On en est loin, heureusement.


Encore convient-il de ne pas mener des politiques qui pourraient conduire à cela. Guerre d’Irak, Guantanamo, Abou Ghraib, etc. toutes ces décisions prises pour combattre le terrorisme l’ont bien au contraire stimulé. La poursuite de l’horrible guerre civile en Syrie, de l’éternel conflit israélo-palestinien, le nourrissent également.


Les discours islamophobes, qu’ils soient vulgaires ou érudits, les amalgames à l’égard des musulmans, auront pour effet de radicaliser certains d’entre eux.


« Nous n’avons pas peur »


À donner trop d’importance à la menace terroriste, on entre dans le jeu des terroristes, qui ne veulent pas nécessairement prendre le pouvoir, et cherchent avant tout à nous faire vivre dans la peur.


Lorsque l’on diffuse ou que l’on parle des vidéos réalisées par les fanatiques islamiques, ne tombons-nous pas dans le piège qu’ils nous tendent dans leur politique de communication ?


Il faut donc vivre avec le risque terroriste, comme on vit avec d’autres, en étant vigilant mais pas alarmiste ou catastrophiste, sauf à concourir à nourrir le danger que l’on doit combattre.


Parler de troisième guerre mondiale, c’est donner beaucoup d’importance aux terroristes et cela les aider à recruter. Le message que nous devons leur envoyer est : « Nous n’avons pas peur ».



[1] ARON (Raymond); Paix et guerre entre les nations, Calmann-Lévy, 1962, p.176.
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