L'édito de Pascal Boniface

Mardi 17 mai – Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie

Édito
17 mai 2011
Le point de vue de Pascal Boniface
Interview de Louis-Georges Tin
Président du Comité IDAHO
Fondateur de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie



Le 17 mai est la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie. Dans combien de pays l’homosexualité est-elle encore pénalisée, et de quelle manière?


Dans plus de 70 pays à travers le monde, l’homosexualité est considérée un crime. Et ce crime est passible de la peine capitale dans sept pays. Dans beaucoup de régions, l’enjeu n’est pas la dépénalisation, mais la surpénalisation de l’homosexualité. En Ouganda, par exemple, un projet de loi était en discussion récemment, et il avait pour but de renforcer les lois en vigueur, pour que la peine de mort soit applicable aux homosexuels. Heureusement, cette initiative a été (provisoirement) suspendue, en raison de la mobilisation internationale. Par ailleurs, au-delà de la pénalisation proprement dite, dans le monde entier, les discriminations subsistent à un très haut niveau, en particulier pour les transsexuels hommes ou femmes, qui sont les marginaux des marginaux.

C’est ce constat accablant qui m’a conduit à lancer la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie en août 2004. La première édition a eu lieu le 17 mai 2005, soit 15 ans jour pour jour après la décision prise par l’OMS de supprimer l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Aujourd’hui, cette journée est célébrée de fait dans plus de 70 pays à travers le monde, et elle est reconnue officiellement par l’Union européenne, par la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Espagne, la Belgique, le Luxembourg, le Brésil, le Mexique, le Costa-Rica, etc. Dans tous ces pays, chaque année, autour du 17 mai ont lieu des campagnes, des manifestations, des conférences, des festivals, des émissions, des expositions, des décisions politiques aussi, toutes choses susceptibles de faire avancer les droits humains dans ce domaine.

Les raisons qui poussent les pays à pénaliser sont-elles politiques,culturelles ?

Les raisons sont évidemment multiples, et différentes selon les contextes. Il y a au départ un héritage religieux et colonial. Les religions du Livre et les traditions qui en sont issues condamnent clairement l’homosexualité, et ce sont ces lois qui ont été exportées dans le monde entier, à la faveur de la colonisation : les sodomylaws, dans l’Empire britannique (du Canada à l’Australie en passant par l’Inde, le Nigeria ou les Etats-Unis), par exemple, ou les lois imposées par l’Inquisition espagnole ou portugaise dans toute l’Amérique latine. Dans certains pays, l’évolution des mœurs, l’essor de l’individualisme, la démocratie, la sécularisation, la révolution sexuelle, tout cela a permis un processus de dépénalisation. Dans d’autres, non.

En Afrique, on se réfère volontiers aux « valeurs africaines », pour empêcher toute évolution en ce sens, et on affirme souvent que l’homosexualité serait une réalité étrangère, alors que ce sont les lois homophobes qui ont été importées, et imposées aux peuples autochtones, non sans difficulté d’ailleurs. Dans les pays musulmans, il est clair que depuis trente ans, le contexte de confrontation avec « l’Occident chrétien » pousse certains dirigeants à mettre l’accent sur les valeurs de l’Islam, à les réaffirmer, souvent de manière opportuniste, parfois brutalement. C’est le cas en Iran, alors qu’à l’époque du Shah, les bars homosexuels avaient une forte visibilité à Téhéran. Dans le monde entier, y compris en Europe, bien sûr, il y a un fonds culturel et religieux, souvent défavorable aux relations homosexuelles, que des contextes « porteurs » peuvent exacerber. En Ouganda, par exemple, le président Museveni a lancé cette chasse aux sorcières contre les homosexuels peu avant le début de sa campagne pour les présidentielles. Il pensait souder ainsi les chrétiens et les musulmans : ce fut une réussite, de ce point de vue. Mais il n’avait pas prévu la réaction internationale, qui était en effet inédite : il dut alors battre en retraite.

Quelle(s) stratégie(s)pour réduire le nombre de pays pénalisant l’homosexualité ?

Pour ma part, j’ai mis en œuvre une stratégie, qui se déploie à travers le Comité IDAHO (International Day Against Homophobia and transphobia). Premier objectif, mobiliser l’opinion publique. C’est ce que nous avons initié dès 2006, avec l’appel que j’ai lancé « pour une dépénalisation universelle de l’homosexualité ». Ce texte a été signé par plusieurs prix Nobel (Desmond Tutu, Dario Fo, José Saramago, Elfriede Jelinek, Amartya Sen, etc), par des artistes (MerrylStreep, Cindy Lauper, Elton John, David Bowie, etc), des intellectuels (NoamChomsky, Judith Bulter, Taslima Nasreen, Bernard-Henri Lévy,etc). C’est que nous continuons inlassablement, d’année en année.

Deuxième objectif, mobiliser les instances internationales. C’est ce que nous avons réussi à faire deux ans plus tard. Relayant notre campagne, le gouvernement français a porté une déclaration à l’Assemblée générale des Nations Unies sur ce sujet, à New York, où je me suis rendu avec Rama Yade le 18 décembre 2008. Ce fut une première historique. Mais il s’agissait d’une déclaration, c’est-à-dire d’un texte symbolique, mais non contraignant. Notre but est d’aboutir désormais à une résolution, c’est-à-dire à un texte plus contraignant. Certes, cette résolution serait sans effet, même à moyen terme, sur des pays comme l’Iran ou l’Arabie Saoudite, mais sur des pays comme l’Inde ou le Liban, qui pénalisent l’homosexualité, mais qui se présentent comme des démocraties, et qui tiennent à garder une certaine image sur la scène internationale, une résolution de l’ONU pourrait avoir un effet significatif à court terme, d’autant qu’existent déjà sur place des mouvements locaux en faveur de la dépénalisation. Cette résolution, nous la demandons au gouvernement français, nous y travaillons activement, et nous croyons qu’une réponse pourrait être donnée prochainement à notre demande… Ce serait une avancée historique en faveur de la liberté. La liberté d’être, et d’aimer, tout simplement.

Pour plus d’infos, je renvoie aux deux sites du Comité IDAHO, le site français, qui parle principalement de la France, et le site en anglais, qui présente les activités au niveau international, dans les 70 pays.

http://idahofrance.fr/index.html
http://www.dayagainsthomophobia.org/-IDAHO-english,41-
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