L'édito de Pascal Boniface

La France ne peut-elle avoir que des Occidentaux pour partenaire diplomatique ?

Édito
11 décembre 2015
Le point de vue de Pascal Boniface

Après les attentats du 13 novembre, et face à l’engagement croissant de la France dans la lutte contre Daech, de nombreuses voix se sont élevées pour demander la remise en cause de nos relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite et le Qatar. Ces deux pays étant accusés de financer Daech, il serait contradictoire de vouloir lutter contre ce dernier, tout en ayant de bonnes relations avec les premiers.


Que penser de cette proposition ? Si réellement l’Arabie Saoudite et le Qatar financent actuellement – directement ou indirectement – Daech, ce n’est pas une remise en question de nos relations avec eux dont il devrait s’agir, mais de déférer François Hollande, une bonne partie de son gouvernement et Nicolas Sarkozy devant la Haute cour de justice, pour haute trahison, dans la mesure où ces différents responsables nient que ces pays financent l’État islamique.


Au-delà du cas particulier du Qatar et de l’Arabie Saoudite, il faut observer que très régulièrement il est demandé à la France de cesser d’avoir des relations avec tel ou tel pays, parce qu’il ne partage pas nos valeurs. Avant un revirement spectaculaire à l’égard de Moscou, après les attentats du 13 novembre, de nombreuses voix, dans les médias ou dans le paysage politique, s’élevaient pour demander de mettre au frigidaire nos relations avec la Russie, du fait du caractère autoritaire et répressif du régime de Poutine. C’est également un grand classique que de déplorer que l’on puisse avoir des relations nourries avec la Chine, sur fond du reproche récurrent de sacrifier nos principes à nos intérêts commerciaux. Plus récemment, la visite de François Hollande à Cuba a été condamnée par certains comme étant une récompense prématurée, alors que le régime n’est toujours pas libéralisé. Il y a également régulièrement des protestations à l’égard des échanges avec l’Iran. Le fait de conserver des relations étroites avec des régimes africains, dont certains dirigeants se maintiennent par des moyens contestables au pouvoir, est également critiqué. On pourrait multiplier les exemples en ce sens. Mais après tout, malgré le caractère catastrophique de la guerre d’Irak en 2003, nous avons conservé des bonnes relations avec les États-Unis et on a même été après 2005 à s’excuser d’avoir eu raison en dénonçant les dangers de cette guerre.


Tout ceci peut s’entendre mais pose un problème de fond : ne faut-il avoir des relations qu’avec les seuls pays qui partagent notre système politique ? Dans ce cas, il faudrait se contenter d’avoir des relations avec les vingt-sept membres de l’Union européenne, auxquels on pourrait éventuellement ajouter la Suisse, la Norvège, les États-Unis, le Canada l’Australie, la Nouvelle-Zélande et éventuellement le Japon. Nous ne pouvons pas avoir des relations avec nos seuls semblables. Dans un monde globalisé, avoir des relations avec un pays ne signifie pas approuver son régime. C’est juste tenir compte des réalités internationales. Finalement, que ce soit consciemment ou inconsciemment, ce qui met en cause la nature de nos relations avec des pays non occidentaux voudraient en fait limiter les marges de manœuvre de la diplomatie française en l’enfermant dans un cadre strictement occidental. Les mêmes d’ailleurs ne reprochent pas aux États-Unis d’avoir eux-mêmes des relations très développées avec l’ensemble des autres pays. Le choix pour la France serait donc de limiter son champ d’action et du coup de se contenter de s’aligner sur les États-Unis, auxquels on ne reproche pas d’avoir une diplomatie tous azimuts. Or la France, si elle est un pays occidental, ne peut être résumée à cette seule définition. Elle est un partenaire potentiel naturel des autres pays, qui lui donne un poids spécifique sur la scène internationale.


Nous pouvons, et nous devons, avoir des relations avec des pays qui ne nous ressemblent pas. Il s‘agit de comprendre quels peuvent être nos intérêts communs, et à quel moment nos intérêts divergent.


Lorsqu’en 1964, le général de Gaulle prend la décision de reconnaître la Chine, il fâche les États-Unis, à un moment où le régime chinois est totalitaire. Mais il pensait que c’était l’intérêt de la France d’avoir plus de marges de manœuvre pour mener une politique indépendante et, finalement, utile au plus grand nombre.



Ce n’est pas en rompant avec les pays qui n’ont pas notre système politique, qu’on fera évoluer le leur. Ce n’est pas non plus en les morigénant en public qu’on les fera bouger. Si on veut être efficace pour faire progresser les droits humains, il ne faut pas se contenter de posture à usage médiatique interne. Et si on veut que la voix de la France soit entendue dans le monde, elle ne peut pas se contenter de parler à ses semblables. Si on veut changer le monde, il faut partir des réalités.

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