L'édito de Pascal Boniface

« Le ciel est leur limite » – Trois questions à François-Aïssa Touazi

Édito
16 janvier 2015
Le point de vue de Pascal Boniface
Co-fondateur du think tank CAPmena et du MENA Economic Forum, conseiller du fonds d’investissement Ardian et ancien conseiller Afrique du Nord – Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères, François-Aïssa Touazi répond à mes questions à l’occasion de son dernier ouvrage « Le ciel est leur limite », paru aux Editions du moment.

Vous dressez un tableau alléchant des pays du Golfe, quels sont leurs atouts ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les dirigeants du Golfe sont tout à fait conscients de leurs forces et de leurs handicaps. Ils ont compris très tôt que le pétrole qui était leur force, pouvait aussi devenir aujourd’hui leur faiblesse. C’est pourquoi ils ont mis en place des politiques de diversification de leur économie.
Cette diversification a commencé par l’aval et l’amont du secteur pétrolier et gazier, avec le développement de champions dans la pétrochimie, comme le saoudien Sabic devenu leader mondial dans son secteur. Parallèlement, ils ont développé leurs infrastructures pour moderniser la région et profiter pleinement de leur situation géographique, hub entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Cette stratégie ambitieuse a permis à l’activité portuaire et au transport aérien de connaitre un boom formidable dans la région, notamment avec l’émergence de grandes compagnies qui se sont hissés dans le top 10 mondial.
Progressivement, les pays du Golfe se sont développés dans de nouveaux secteurs économiques en s’appuyant sur leur avantage comparatif et l’énorme puissance financière des fonds souverains dotés de plus de 2000 milliards de dollars. Ces derniers ont fait émerger des leaders mondiaux dans les télécoms, le tourisme, l’aéronautique…etc. et pris des participations dans les plus grands groupes occidentaux et asiatiques.
Enfin, le Golfe a investi dans une stratégie de soft power en investissant dans la culture, les médias et le sport, accueillant les plus grands événements internationaux culturels ou sportifs. Cette stratégie a deux objectifs : améliorer l’image et la notoriété du Golfe, mais également générer des flux de touristes vers la région.
Cette stratégie s’accompagne aussi d’une diversification géographique. Le Golfe a intensifié ses relations commerciales avec l’Asie et l’Afrique via ses fonds souverains, mais aussi les grandes familles qui détiennent des groupes tentaculaires et qui multiplient les investissements dans les pays émergents.
Dernier point sur les clés de leur succès, les dirigeants du Golfe possèdent une capacité d’adaptation remarquable. C’est certainement dû au territoire et au climat auxquels ils ont dû s’adapter, ou encore à l’extrême cosmopolitisme des populations de la région. Quoiqu’il en soit, ils savent agir vite, entreprendre, prendre des risques et tirer lucidement les leçons de leurs erreurs.

Quels sont les faiblesses et les défis que ces pays doivent néanmoins relever ?
La détérioration du climat sécuritaire régional constitue un défi majeur pour les pays du Golfe avec la montée en puissance des djihadistes de Daech en Syrie et en Irak, les relations tendues avec l’Iran et l’instabilité grandissante au Yémen. C’est la raison pour laquelle lors du sommet de Doha en décembre dernier, les pays du CCG (Conseil de coopération du Golfe) ont resserré les rangs et mis de côté leurs divergences (notamment avec le Qatar).
Par ailleurs, malgré leurs efforts pour sortir de l’économie de rente et développer des économies solides, ils font aujourd’hui face à de nombreux défis énergétiques, le premier étant toujours le prix de l’énergie avec un prix d’équilibre du budget de 85$ en Arabie saoudite. Ce qui veut dire que toute baisse mondiale du prix du pétrole menace directement leur modèle de développement. De plus, l’exploitation du gaz de schiste et la baisse potentielle de la demande de pétrole représentent, comme on le voit aujourd’hui, un défi important pour la région.
Ils font aussi face à d’autres enjeux internes, comme le chômage des jeunes (25 %), la sécurité alimentaire avec un taux d’importation quasi-total (95%) ou la situation des travailleurs migrants venus du sous-continent indien qui ternit leur image. Par ailleurs, il est urgent pour eux de devenir des pôles d’innovation pour s’inscrire dans la durée et devenir des acteurs crédibles de la mondialisation.

Est-ce que la France va savoir s’adapter à la nouvelle donne du Golfe ?
La présence de la France dans le Golfe n’est pas à la mesure de ce que devrait être la 6ème puissance mondiale. J’y vois plusieurs raisons :
– Le Golfe reste un marché des prix. Or la France, qui pratique plutôt l’entre-soi dans les consortiums, présente des offres trop chères. La solution serait de proposer des offres en partenariat avec des entreprises issues de pays émergents pour faire baisser les prix.
– La présence française est trop axée sur le domaine militaire et sécuritaire ; Nos PME ne sont pas suffisamment présentes alors que le potentiel est considérable.
– Enfin, les entreprises françaises hésitent à faire des investissements locaux de long terme. Cette hésitation est liée certes à la crise économique qui freinent l’investissement, mais aussi à une forme de réticence et de méconnaissance de la région.
Pourtant, les entreprises du Golfe peuvent être de solides partenaires pour nos entreprises, notamment dans leur développement à l’international. Il y a une coopération triangulaire à inventer avec les acteurs du Golfe, notamment avec leurs fonds souverains et leurs grands groupes, le savoir-faire technologique des entreprises françaises et européennes et les immenses besoins en infrastructures en Afrique.
Si nous ne sommes pas capables de trouver notre place dans cette nouvelle route de la soie qui se dessine entre Pékin-Dubaï-Lagos, la France risque d’être distancée par d’autres pays plus pragmatiques.
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