L'édito de Pascal Boniface

« Européen, sans complexes » – 4 questions à Jean-Dominique Giuliani

Édito
27 janvier 2022
Le point de vue de Pascal Boniface
Jean-Dominique Giuliani préside la Fondation Robert Schuman, centre de recherche de référence sur l’Union européenne et ses politiques. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage « Européen, sans complexes » aux éditions Marie B.

Vous définissez Boris Johnson comme : « l’incarnation du mensonge populiste ». Le Brexit aura-t-il été un succès pour le Royaume-Uni ?

Nous ne le saurons que dans une décennie. Pour l’instant, il aggrave les difficultés rencontrées par l’économie britannique, il augmente l’incertitude des acteurs et incarne un repli national contraire aux intérêts d’une île ancrée tout près des côtes européennes. Bâti sur des promesses mensongères, il n’a rien apporté de concret, ni financement supplémentaire, par exemple pour le service de santé comme le promettait Boris Johnson, ni accord commercial favorable. Et je crains que le pire soit à venir avec l’Irlande, dont manifestement il se moque, et les questions financières que l’Union voudra maîtriser. De ce fait, Londres n’est déjà plus la première place financière. A mes yeux le Brexit est un parti pris idéologique déconnecté de toute réalité.

Pour vous, une Europe unie apparaît comme un danger quasi existentiel pour la Russie…

Oui, la diplomatie russe ne cesse d’attaquer le processus d’unification européenne. Serguei Lavrov a voulu humilier Josep Borrell qui dirige le service diplomatique commun, Vladimir Poutine fait semblant de ne pas la considérer, ses représentants partout en Europe sont à l’œuvre tous les jours pour la discréditer et l’affaiblir. Pourquoi ? Simplement parce qu’une Europe unie ramène la Russie à ses faiblesses et ses échecs : un PIB à peine supérieur à celui de l’Espagne, une économie en berne, une démographie préoccupante, une richesse confisquée par une minorité et un pouvoir de plus en plus autocratique.

Avant la crise ukrainienne, l’Europe était la destination préférée des Russes de la classe moyenne qui représentaient près de 40% des entrées dans l’espace Schengen. Ils y ont côtoyé la prospérité et les libertés européennes au point d’ébranler le système politique russe et de manifester leur opposition au tour de passe-passe antidémocratique entre Medvedev et Poutine. Ce dernier, pour se maintenir au pouvoir, en a conclu à la nécessité d’accroître sa mainmise sur la société russe désormais sous le joug d’une vraie dictature et d’exacerber un nationalisme toujours prompt à écrire un récit national russe idéaliste.

En difficulté, la Russie se tourne toujours vers le nationalisme et l’expansionnisme. Cette fois-ci, elle ajoute le révisionnisme en voulant nier l’effondrement de l’Union soviétique.

Vous définissez le président turc Erdogan comme un véritable ennemi pour l’Europe…

Oui, son projet, qui rejoint celui des confréries et notamment des Frères musulmans, exige de se distancier de l’Europe, de ses valeurs et de ses règles tout en faisant semblant d’en être exclu par elle. Il se veut le leader d’un islamisme décomplexé et donc l’Europe, avec ses libertés et sa force économique, est un modèle attirant d’autant plus dangereux qu’il a les faveurs du peuple turc. La Turquie est divisée, un tiers de sa population, les Kurdes, est ostracisé et combattu par le gouvernement. L’économie turque est en difficulté du fait d’une conduite idéologique. Son président est prêt à tout pour conserver un pouvoir qui ne cesse de s’affaiblir, comme il l’a montré en Syrie.

Vous êtes sévère avec le secrétaire général de l’OTAN : « incapable de concilier l’alliance avec les timides avancées européennes en matière de défense commune »…

Jens Stoltenberg aurait pu être un grand secrétaire général de l’OTAN en conciliant la prise de conscience des Européens et le cadre de l’Alliance. Au lieu de cela, il a révélé la pauvreté de sa vision et sa courte vue en ne cessant d’opposer les efforts de l’UE pour prendre en charge progressivement le fardeau de sa défense, et l’OTAN, une alliance qui demeurera.

Il a même poussé l’erreur jusqu’à se transformer en petit commissionnaire de l’industrie de défense américaine. Une Europe qui tente de mieux s’organiser, de dépenser plus pour sa sécurité est dans l’intérêt commun des Américains et des Européens. Un peu de réflexion suffit à le comprendre. Il est dommage que l’actuel secrétaire général de l’OTAN en soit incapable.
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