L'édito de Pascal Boniface

Les milliardaires peuvent/veulent-ils vraiment sauver le monde ?

Édito
18 juin 2020
Le point de vue de Pascal Boniface


 

Il y a quelques semaines, une fusée Space X envoyait dans la station spatiale internationale deux astronautes américains. A peu près au même moment, Bill Gates faisait un très gros chèque à l’Organisation mondiale de la santé pour compenser la suspension de la contribution nationale des États-Unis annoncée par Donald Trump. Il y a un peu plus longtemps encore, Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, voulait lancer la Libra, une monnaie virtuelle permettant aux consommateurs de payer en ligne à moindre coût. Qu’ont ces trois événements en commun ?

Pour chacun d’eux, il s’agit de milliardaires ayant fait fortune dans le digital, qui viennent remplir des fonctions traditionnellement régaliennes. En l’occurrence, la conquête de l’espace est normalement l’affaire des États. Or, c’est Elon Musk qui est venu au secours de la NASA. De même, ce sont généralement les États qui apportent une contribution aux organisations internationales. Pourtant, au moment où les États-Unis retiraient leur contribution étatique, c’est Bill Gates qui venait suppléer la défaillance de l’État américain à travers sa fondation. Enfin, le fait de battre monnaie est par définition une compétence régalienne. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’historiquement, la fausse monnaie a toujours été ardemment combattue par les États.

La fortune de Jeff Bezos, le patron d’Amazon, s’est accrue de 25 milliards de dollars au cours de la crise du Covid-19, c’est à dire à peu près le PIB du Honduras. Sa fortune s’élève désormais à 150 milliards de dollars, l’équivalent du PIB de la Hongrie ; et on estime que sa fortune pourrait rapidement atteindre 1000 milliards de dollars. On a de plus en plus de mal à trouver un sens et une signification à ces fortunes faramineuses. Le chiffre d’affaires de Facebook équivaut au PIB du Liban, soit 56 milliards de dollars, celui d’Alibaba, 48 milliards de dollars, est comparable au PIB de la République démocratique du Congo qui est certes un pays pauvre, mais aussi à celui de l’Azerbaïdjan qui est pourtant un pays pétrolier. Facebook réunit 2,6 milliards d’utilisateurs, c’est à dire à peu près autant que la population de la Chine et de l’Inde réunies.  Alibaba a 650 millions de clients, ce qui en ferait le troisième pays du monde en termes d’effectif démographique.

L’importance grandissante de ces milliardaires capricieux est problématique, car cela pose la question de savoir qui les contrôle.

Donald Trump doit rendre des comptes aux électeurs américains. Même dans les pays autoritaires, les dirigeants doivent rendre des comptes à leurs citoyens, même en Chine, où Xi Jinping a été mis en cause au sujet de sa politique de lutte contre le Covid-19.

Les milliardaires n’ont de compte à rendre à personne sauf à eux-mêmes ou éventuellement à leur famille. Ils utilisent donc leur fortune à des fins personnelles comme bon leur semble. Le danger de leur importance grandissante est que sans aucun contrôle sur leur activité, au moment où l’on se bat pour faire progresser la démocratie, se crée finalement une oligarchie de milliardaires à l’échelle mondiale, capables de faire ce qu’ils veulent. Cela peut être au service de tous, comme lorsque Bill Gates Finance l’OMS, ou de façon purement égoïste, à l’instar d’Elon Musk qui veut aller habiter sur Mars avec un million de personnes pour se protéger des guerres ou de la disparition des ressources terrestres.

Cette oligarchie s’affranchirait donc de masses informes qui n’auraient pas le droit à la parole et qui seraient soumises au bon vouloir et à la générosité, parfois intéressée, des acteurs oligarchiques.

Le problème est que l’on met en avant la charité par rapport à l’équité. Or, le rôle des États est d’assurer l’équité et de s’intéresser à l’ensemble des citoyens et si ce n’est pas le cas, les citoyens ont des moyens de se faire entendre. Or, un milliardaire fait la charité si bon lui semble et si bon ne lui semble pas il fait ce qu’il veut. S’il n’y a pas de contrôle de la part des sociétés civiles et des Etats, le risque est cette oligarchie préalablement évoquée s’impose graduellement, décidant de nos sorts sur lesquels nous n’aurons plus de prise. Ce que l’on a gagné en démocratie au niveau des États, serait alors perdu auprès d’acteurs non étatiques tout aussi importants, mais sur lesquels, on n’exercerait aucun contrôle.
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