L'édito de Pascal Boniface

La construction de l’Europe et l’avenir des nations. Questions à Maxime Lefebvre

Édito
19 novembre 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Maxime Lefebvre est diplomate (actuellement ambassadeur auprès de l’OSCE à Vienne) et enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris. Il connaît bien les questions européennes pour avoir été en poste à Bruxelles, à la représentation permanente auprès de l’Union européenne, et pour avoir beaucoup publié sur ces questions. Il est l’auteur d’un manuel, plusieurs fois réédité, de relations internationales, Le jeu du droit et de la puissance aux éditions Puf. Il vient de publier chez Armand Colin La construction de l’Europe et l’avenir des nations. Il s’exprime dans cette interview à titre strictement personnel.


Vous êtes sévère avec la politique extérieure de l’Union européenne, vous écrivez qu’elle reste dans la ligne des Nations unies, elle fait du maintien de la paix, elle ne fait pas la guerre. Vous estimez également que le bilan de la politique de voisinage est mitigé, pourtant vous admettez qu’elle est devenue « producteur de sécurité ». Que pèse l’Europe sur le plan stratégique ?
Le projet européen est parti de l’économie. Il a investi progressivement la politique extérieure : politique commerciale commune, accords de pêche, de visas ou de libéralisation du transport aérien, et même diplomatie et défense. L’Europe pèse dans la mondialisation, certains la qualifient (comme Zaki Laïdi) de « puissance normative ». Mais sur le plan stratégique elle est toujours restée dans l’ombre de l’OTAN, qui assure la « défense territoriale » de ses Etats membres et joue les premiers rôles dans les opérations de combat (dernièrement l’opération en Libye en 2011). L’Union européenne est en deuxième ligne, elle fait des choses utiles (du maintien de la paix dans les Balkans, des missions de police ou de soutien à l’état de droit, la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes) mais elle n’a jamais cherché à contester la prééminence de l’OTAN, qui garantit aussi la force du lien avec les Etats-Unis dans le domaine stratégique. L’Union européenne ne fait pas d’opérations de combat, c’est un fait, contrairement à l’OTAN.


Comment redéfinir le rôle du couple franco-allemand au sein de l’Union européenne dans un rapport de force bilatéral modifié ?
Le rapport entre la France et l’Allemagne se modifie de façon paradoxale : les faiblesses de l’une sont les forces de l’autre. La France a pour elle une démographie dynamique (source de puissance sur le long terme), un outil militaire encore performant, et une volonté politique de jouer un rôle de premier plan dans les relations internationales. L’Allemagne a une économie forte, compétitive, performante, non sans faiblesses (vieillissement de la population, inégalités). Les deux pays doivent jouer un rôle moteur en Europe : il ne peut y avoir d’Europe forte sans moteur franco-allemand puissant. Il faut pour cela qu’ils se rapprochent, ce qui est plus facile à dire qu’à faire. L’Allemagne doit impérativement faire quelque chose pour réduire son excédent commercial et accroître sa consommation. Elle doit aussi assumer ses responsabilités diplomatiques et militaires, au lieu de prendre des positions d’abstention. La France doit faire des réformes pour résorber ses lourds déficits (déficit budgétaire et déficit commercial). Elle pourrait aussi tenter de partager davantage la décision en politique étrangère par une plus grande concertation avec Berlin. Mais l’accord ne peut être ni automatique ni systématique : il faut toujours prendre en compte les différences profondes entre nos deux nations, ainsi que le rôle des autres acteurs aussi bien dans l’UE (notamment le Royaume-Uni) qu’à l’extérieur (les autres puissances).


Vous estimez que la décision de réintégrer le commandement militaire de l’alliance atlantique a fait perdre à la France un positionnement politique original, mais elle se justifiait par l’importance que garde l’Otan dans la défense occidentale et le besoin d’établir une complémentarité Union européenne/Otan. Au final, la France a-t-elle gagné ou perdu avec la réintégration ?
Une page s’est tournée. L’OTAN n’est plus l’organisation de la guerre froide, au temps du « bloc contre bloc ». La France ne peut plus se considérer comme militairement sanctuarisée par sa dissuasion nucléaire. La normalisation de la position de la France au sein de l’OTAN n’est que la conséquence d’une situation politique et militaire qui n’est plus la même, comme l’a montré la participation de notre pays (avant même la réintégration de 2009) aux opérations de l’OTAN dans les Balkans ou en Afghanistan. La solidarité atlantique, occidentale, reste une donnée importante dans le monde polycentrique de l’après-guerre froide. Mais elle n’épuise pas tout. Il y a toujours place pour des positionnements politiques originaux selon les sujets (la solidarité atlantique n’est pas une discipline atlantique), et pour un renforcement de l’Europe de la défense (ce à quoi la France continue d’œuvrer).
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