05.12.2024
La guerre en Ukraine : jusqu’où ?
Édito
1 septembre 2022
Comment se terminent généralement les guerres ? Elles peuvent prendre fin lorsqu’une médiation internationale réussit. Cependant, dans ce cas, on ne voit pas qui pourrait prendre le rôle de médiateur. Aucun des pays occidentaux ne peut remplir ce rôle. Étant alliés à l’Ukraine, ces derniers ne peuvent être considérés comme neutres par la Russie. La Chine non plus, jugée trop proche de la Russie. Rares sont donc les pays qui peuvent être acceptés comme médiateurs par Kiev et Moscou. La Turquie, avec l’aide de l’ONU, a pu obtenir un accord minimal sur l’exportation de céréales à partir de la mer Noire, mais cela ne permet pas à Ankara d’être tenu comme le faiseur de paix entre la Russie et l’Ukraine.
Deuxième hypothèse, la guerre peut également prendre fin par l’épuisement des protagonistes. Ce serait en effet parce que les belligérants sont épuisés que la guerre prendrait fin, en témoigne la fin de la longue et si coûteuse guerre entre l’Iran et l’Irak en 1988. Cependant, dans le cas présent, les protagonistes sont certes très atteints d’un point de vue matériel et humain, mais on ne peut pour le moment parler d’épuisement ni d’un côté ni de l’autre. D’autant que l’enjeu est trop important pour chaque protagoniste. Côté ukrainien, c’est le territoire national qui est en jeu. Côté russe, c’est le régime même qui pourrait tomber s’il était contraint à mettre fin à la guerre sur une défaite.
Troisième possibilité enfin, la guerre pourrait prendre fin par une victoire d’un des deux protagonistes. Là aussi on voit difficilement qui pourrait réclamer une victoire, car il semble que l’affrontement s’équilibre. Il y a certes un avantage qui devrait s’accentuer côté ukrainien s’agissant du matériel militaire – grâce au soutien occidental – mais la Russie est désormais en position défensive dans le Donbass et pour reconquérir un territoire il faut généralement trois fois plus de troupes à l’offensive qu’à la défensive. Le plus probable est donc que cette guerre d’une assez grande intensité s’inscrive dans la durée.
Du point de vue russe, on ne voit plus très bien ce qui pourrait constituer une victoire. Le rêve d’aller jusqu’à Kiev et de mettre en place un régime aux ordres de Moscou s’est évanoui et, du fait des difficultés de l’armée russe sur le terrain, on imagine mal de nouvelles avancées. L’armée russe peut peut-être tenir les territoires qu’elle a déjà conquis, mais elles auront bien du mal à pénétrer davantage en territoire ukrainien. Tenir le Donbass pourrait-il constituer une victoire pour Moscou, au risque de devoir supporter plus longtemps le coût de la guerre ? L’impopularité du régime russe pourrait être croissante à mesure que le coût humain de la guerre devient important. C’est d’ailleurs pour cela que Vladimir Poutine ne veut déclarer ni la guerre ni la mobilisation générale, craignant la réaction de la population. En effet, bien que les libertés aient été d’autant plus étouffées depuis le début de la guerre en Russie, la population pourrait commencer à s’opposer au régime si trop de fils et de maris perdaient la vie dans cette guerre .
Pour Vladimir Poutine, l’objectif est de maintenir sa position actuelle, mais encore faudrait-il que les Ukrainiens acceptent ce statu quo. Ce n’est évidemment pas le cas puisque l’Ukraine a déclaré avec vigueur, y compris par la voix du président Zelensky, qu’elle combattrait jusqu’à la victoire. De même, les pays occidentaux ont déclaré les uns après les autres leur détermination à soutenir l’Ukraine tout le temps qu’il faudra.
Côté ukrainien, quelle situation pourrait être considérée comme une victoire ? Difficile à dire puisque les objectifs de Kiev ont évolué depuis le début du conflit. Dans un premier temps, la victoire signifiait reprendre les territoires perdus depuis le 24 février. Fin août, Volodymyr Zelensky affirmait que la victoire passerait notamment par la reconquête de la Crimée annexée en 2014 par Moscou, ainsi que les Républiques autoproclamées de Donetsk de Lougansk. Cette perspective pose plusieurs problèmes. Qu’en est-il de la faisabilité d’une telle opération ? L’armée ukrainienne est-elle en capacité de reconquérir ces territoires sans une intervention plus directe des pays occidentaux ? Ensuite, même si l’annexion de la Crimée fut illégale du point de vue du droit international, la population de cette région se sent majoritairement russe et ne veut pas redevenir ukrainienne. Cette reconquête se ferait donc contre l’assentiment de la majorité de la population. De même, chercher à reconquérir la Crimée risquerait de pousser à l’intensification du conflit. Il est en effet difficilement envisageable que Vladimir Poutine accepte de perdre la Crimée sans réagir vivement.
En ce sens, les pays occidentaux, qui assurent vouloir soutenir l’Ukraine jusqu’au bout, ne devraient-ils pas discuter avec Zelensky des objectifs de la guerre et de ce qui pourrait constituer une victoire ukrainienne ? Ne faudrait-il pas exprimer notre soutien en ce qui concerne la reconquête des territoires perdus depuis le 24 février, mais pas concernant la Crimée ? D’ailleurs, au tout début de la guerre, un compromis qui semblait envisageable et avoir était accepté par les Ukrainiens était de distinguer et de repousser les négociations sur le statut final de la Crimée pour se concentrer sur la récupération des territoires conquis depuis le déclenchement de la guerre.
Sans l’aide occidentale, l’Ukraine aurait certainement déjà perdu cette guerre. Cette aide lui est nécessaire pour résister et reconquérir les territoires perdus depuis le 24 février. L’aide apportée devrait donner quelques moyens de levier aux pays occidentaux pour discuter de ce que pourrait être la victoire finale et éviter de s’enfoncer dans une guerre interminable qui pourrait s’intensifier et complètement dégénérer.
Les pays occidentaux doivent être solidaires de l’Ukraine, mais cette solidarité ne doit pas empêcher une négociation avec Kiev. L’Ukraine n’a pas à déterminer l’agenda stratégique des pays occidentaux. Il ne faudrait pas tomber dans une sorte de solidarité passive et laisser Volodymyr Zelensky décider seul de l’avenir de la guerre, sans que les pays qui le soutiennent aient leur mot à dire.