L'édito de Pascal Boniface

PSG – Manchester City : le match dans le match

Édito
26 avril 2021
Le point de vue de Pascal Boniface
Mercredi, au moment d’entrer sur le terrain du Parc des Princes, les joueurs du Paris Saint-Germain et de Manchester City seront concentrés sur l’objectif de la qualification pour la finale de la Champions League. Pour les propriétaires des deux clubs, l’enjeu ne se résumera pas qu’au palmarès sportif, il sera également question d’intérêt national, de prestige et de rivalité géopolitique. Géopolitique et sport s’entremêlent de nouveau, le PSG appartenant à un fond souverain du Qatar, Manchester City au frère du prince héritier des Émirats Arabes Unis.

Lors de la création des Émirats Arabes Unis en 1971, le Qatar avait refusé d’intégrer la fédération. De son côté, l’Arabie saoudite, qui est comme le Qatar un pays sunnite et wahabite, estime que, de ce fait, le pays, qui partage avec elle sa seule frontière terrestre, devrait lui être rattaché.

Les Émirats et le Qatar ont connu un développement économique spectaculaire basé sur l’exploitation de leurs richesses en hydrocarbures, permettant par la suite une diversification des investissements pour ne plus dépendre des matières premières énergétiques et du recours massifs à la main d’œuvre étrangère. Ils sont à la fois proche et rivaux, mélange de traditionalisme et d’ouverture au monde. Leurs sociétés sont plus ouvertes que celle de l’Arabie saoudite. Leurs profils relativement comparables ainsi que les liens familiaux et personnels rendent la rivalité plus exacerbée. L’Irak détruit par les guerres, le Koweït traumatisé, le Bahreïn fragile, Oman ayant moins de moyens, l’Arabie saoudite trop spécifique, c’est entre Doha et Abou Dhabi que se joue la compétition pour être le pays du Golfe qui brille le plus aux yeux du monde. De skylines aux hubs aériens, du marché de l’art à la compétition universitaire, la lutte est acharnée.

Depuis le début du siècle, le Qatar mise sur la diplomatie sportive pour exister sur la carte. Dès lors, il ne pouvait être question pour les Émirats de lui laisser le monopole sur ce terrain d’une visibilité absolue. Le cheikh Mansour Ben Zayed a acheté le club de Manchester City en 2008 pour 210 millions d’euros. Le championnat d’Angleterre est le plus médiatisé au monde. Le Qatar a misé sur un droit d’entrée moins cher dans le championnat français, avec cependant l’immense avantage de faire figurer la tour Eiffel, mondialement connue, sur son maillot. Le Paris-Saint-Germain a cumulé les titres en France. Au niveau européen, le Qatar avec le PSG a été finaliste de la Champions League l’an dernier, Manchester City ne parvenant qu’une fois en demi-finale. La concurrence est plus rude en Angleterre mais le club sous capital émirati a été sacré quatre fois champion depuis 2008 et le sera à nouveau cette année.

Les Émirats sont stratégiquement plus proches de l’Arabie Saoudite. Le prince héritier MBZ est même souvent considéré comme le véritable mentor du prince saoudien MBS. Tous deux reprochent au Qatar le rôle d’Al-Jazeera, la chaîne qatarie diffusée dans l’ensemble du monde arabe, dans les révolutions arabes, le soutien aux frères musulmans et la bonne entente avec l’Iran, vu tant à Abou Dhabi qu’à Riyad comme une menace existentielle. À l’été 2017, ils ont, avec le soutien de l’Égypte et de Bahreïn, mis en place un blocus du Qatar demandant un changement total de politique extérieure et la fermeture d’Al-Jazeera. En réaction, le Qatar offrait à Neymar et Mbappé au PSG pour être encore plus visible.

Il y a quelques mois, le blocus mis en place contre le Qatar a été levé tout simplement parce qu’il a échoué. Il n’est pas certain pour autant que la réconciliation entre Doha d’un côté, Abou Dhabi et Riyad de l’autre soit totale et pérenne.

Mercredi, celui qui va éliminer l’autre aura un avantage de prestige énorme. Il ne faut pas oublier que c’est après avoir été éliminé par Manchester City que Laurent Blanc a été démis de ses fonctions d’entraineur du PSG alors que son bail venait d’être renouvelé. Malgré la plus humiliante remontada face à Barcelone, ou l’immense déconvenue de l’élimination par Manchester United au match retour il y a deux ans, ni Unai Emery ni Thomas Tuchel n’ont subi le même sort. Dans cette joute sportive, c’est l’honneur, le prestige, le rayonnement d’un club et d’un pays qui est en jeu, dans une compétition regardée par le monde entier.

Est-ce que ce match sera l’occasion d’un geste spectaculaire de réconciliation entre les deux pays à travers leurs propriétaires ou présidents respectifs ? Ou est-ce que cela ne sera qu’un prétexte supplémentaire d’exacerber la compétition ? Au moins, elle est régulée et limitée au domaine sportif, ce qui permet de canaliser les aspects géopolitiques. La compétition sportive permet un exutoire aux rivalités stratégiques, ce n’est pas si mal. Le football et le sport en général ont l’immense avantage de limiter l’affrontement au niveau symbolique.

 

Pascal Boniface a publié Planète football (Armand Colin – 2018). Son livre Géopolitique du sport sort réactualisé en édition de poche le 5 mai prochain. 

 
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