L'édito de Pascal Boniface

Pots-de-vin, corruption et démission de Blatter : les leçons à tirer du scandale à la Fifa

Édito
5 juin 2015
Le point de vue de Pascal Boniface

Depuis l’arrestation, avant l’ouverture du congrès mondial de la FIFA, de plusieurs de ses responsables, dans un coup de filet spectaculaire, et les révélations sur la corruption qui régnait, les événements se sont précipités et ont abouti à la démission de Sepp Blatter.


Cette histoire a tenu en haleine, pendant près d’une semaine, le monde entier, et a suscité un flot de réactions rarement vues. Avec un peu de recul, quelles premières leçons peut-on en tirer ?


La première est tout simplement de réaliser l’importance que le football a prise au niveau mondial.


On a eu l’impression que, pendant une semaine, le monde s’était arrêté et que tous les autres événements étaient passés au second plan. Le « Fifagate » a fait l’objet d’une attention médiatique mondiale, équivalente à celle du déclenchement d’une guerre majeure. S’il y avait eu des révélations de corruption à la fédération internationale des sports de glace, ou de tout autre sport, cela n’aurait pas suscité un tel tsunami médiatique.


D’ailleurs, les mêmes événements concernant la FIFA, il y a 20 ou 30 ans, auraient été traités rapidement dans les journaux généralistes en pages intérieures.


Le football, et donc la FIFA qui le gère au niveau mondial, est plus visible. Cela donne à cette organisation plus de responsabilités. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que cet accroissement énorme de visibilité ne s’est pas accompagné d’efforts de bonne gouvernance ou de transparence.


Les citoyens sont de plus en plus informés et supportent de moins en moins la corruption, la triche. Ce n’est pas qu’il y a plus de corruption qu’auparavant, c’est qu’elle est moins admise, d’une part, et qu’elle a plus de chance d’être connue, de l’autre. Il paraît difficile désormais qu’une fraude importante concernant une organisation sous le feu des projecteurs reste cachée très longtemps. Tant mieux.


Beaucoup se sont demandés : pourquoi maintenant, alors que les rumeurs circulaient depuis longtemps ? Il y eut ici, comme ailleurs, un moment M, où on passe d’une époque à une autre. Ce qui était auparavant admis devient tout d’un coup insupportable, sans que l’on sache trop pourquoi. On est passé de ce stade à un autre.


Dans beaucoup de pays d’Europe occidentale, la corruption des responsables politiques était vue comme une sorte de calamité naturelle, contre laquelle on ne faisait pas grand-chose. Elle est aujourd’hui jugée inacceptable.


Il y eut également un moment clé où les enquêteurs américains ont eu assez d’éléments pour mettre en cause les responsables de la FIFA et ont su le rendre public de façon spectaculaire.


Y a-t-il un complot américain ? Ceux-ci se vengent-t-ils de n’avoir pas obtenu la coupe du monde de 2022 ? La théorie du complot est régulièrement évoquée. Souvent lorsqu’elle concerne les États-Unis, et encore plus les relations Etats-Unis – pays arabes.


Certes, on peut penser que les enquêteurs américains ont été plus diligents que dans d’autres cas, que jeter une pierre supplémentaire dans le jardin de Poutine, en suscitant des interrogations sur la tenue de la coupe du monde en 2018 chez lui, n’est pas pour déplaire aux autorités américaines.


Elles aimeraient également récupérer chez eux la coupe du monde de 2022, attribuée au Qatar. Si le FBI agit sur instructions des autorités étatiques, ce n’est pas le cas du procureur. Mais, celui-ci, outre qu’il fait son métier, peut également être animé d’une fibre patriotique. Cependant, les faits n’ont pas été inventés. Ce ne sont pas les États-Unis qui ont conduit certains dirigeants de la Concaf à accepter d’être corrompus.


Ces événements sont un effet d’aubaine qui a été intelligemment instrumentalisé, mais qui n’a pas été créé par les Américains. Il faut également avoir conscience que le rejet du mensonge et de la triche est très ancré aux États-Unis. Lance Armstrong ou Marion Jones, pourtant des icônes sportives et des héros nationaux américains ont été confondus et sévèrement sanctionnés pour avoir menti.


Il y eut beaucoup d’excès et ceux qui n’aiment pas le sport ou le football se sont régalés. L’amalgame « tous pourris » a été lancé sans beaucoup de réflexion.


On a vu en France la joie mauvaise des élites, qui reprochent au sport de permettre un autre type de réussite que celle des réseaux. Il y eut la corruption dans le football, mais le football en tant que tel n’est pas corrompu. Il y a plus d’argent qu’auparavant mais il y avait certainement beaucoup plus de tricheries, d’arrangements, avant. Les faits de corruption avérée ont concerné l’attribution de marchés ou éventuellement de compétitions, mais pas le résultat des compétitions.


La FIFA est-elle en danger de mort ? Non, pas si elle sait se régénérer, ce qui est tout à fait envisageable.


Il y a une dizaine d’années, le Comité International Olympique (CIO) était atteint par un scandale aussi grand. Après qu’il eut été prouvé que les Jeux olympiques de Salt Lake city avaient été obtenus suite à une corruption généralisée, le CIO s’est réformé, a modifié ses méthodes et a su regagner la confiance de l’opinion. La FIFA peut tout à fait en faire de même. C’est d’ailleurs son intérêt, comme ce fut celui du CIO. Si le public et les sponsors mettent en doute l’intégrité de ces sports, ils s’en détourneront. Le football, n’en déplaisent à ses détracteurs, n’est pas en danger.


Les désignations des pays hôtes des coupes du monde 2018 et 2022 vont-elles être remises en cause ? Nul n’en sait rien aujourd’hui. Il faudrait prouver que la corruption pour les obtenir a été déterminante.

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