L'édito de Pascal Boniface

À propos de « Chine, le grand paradoxe » de Jean-Pierre Raffarin

Édito
18 décembre 2019
Le point de vue de Pascal Boniface


Le premier contact de Jean-Pierre Raffarin avec la Chine fut à l’été 1970. Alors étudiant de l’ESCP, il s’était rendu à Hong Kong et Macao et avait vu de loin la Chine continentale. Il fut alors attiré par ce pays au potentiel encore largement insoupçonné. Il a développé les contacts par la suite et chacun se rappelle son fait d’armes en 2003, alors que frappée par l’épidémie du SRAS, la Chine voyait tous les visiteurs annuler leur séjour par crainte de la contagion. Jean-Pierre Raffarin avait maintenu le sien et gagné ses galons d’ami sincère de la Chine. Il est depuis l’homme politique français le plus estimé en Chine et c’est tout naturellement qu’Emmanuel Macron lui a confié la mission d’être son envoyé spécial pour ce pays.

Jean-Pierre Raffarin est régulièrement accusé d’être un relais d’opinion du pouvoir chinois. Il y répond très nettement : « Je m’inscris évidemment en faux contre les allégations un peu faciles de certains qui me qualifie de « panda kisser » et font de moi un serviteur de la propagande chinoise. Contrairement à ce qui pourrait être dit, je ne plaide pas pour la tolérance à l’égard du modèle chinois, mais pour notre exemplarité. Notre propension à distribuer les bons et mauvais points fait de moins en moins recette en dehors de nos frontières parce que nous ne sommes pas nous-mêmes exempts de reproches. La question des ventes d’armes à l’Arabie saoudite illustre l’absence de cohérence de l’Europe. »

Son livre, d’ailleurs, n’est pas exempt de critiques à l’égard de la Chine. Il note que « Selon le dernier baromètre de Reporters sans frontières, la Chine fait figure de mauvais élèves, comme chaque année : 177e sur 180. Quoi que l’on pense de ce classement, il n’est pas à la hauteur des ambitions chinoises. » Il estime également que le raidissement avec lequel le gouvernement chinois aborde certains sujets apporte de l’eau au moulin de tous ceux qui aiment brandir la « menace chinoise » pour mobiliser contre la Chine. « Ce n’est évidemment pas en tenant un discours rédigé en langue de bois que l’on parviendra à changer les choses », écrit-il. Il admet que Taïwan demeure selon lui le principal sujet de crispation pour Pékin, d’autant qu’avec le temps, une bonne partie de la population de l’île, qui initialement se sentait Chinoise, se considère désormais avant tout Taïwanaise.  Il reconnait qu’en Chine, les inégalités, au lieu de se résorber avec le temps, se sont accentuées. L’indice de Gini est passé de 0,30 en 1978 à 0,47 en 2016. Il aborde également la question des Ouïghours et évoque la terrible répression après Tian An Men. Mais il estime qu’en matière de droits de l’homme, notre manque d’exemplarité dans ce domaine offre à nos amis chinois d’excellents arguments pour contester nos discours.

Il est indéniable que Jean-Pierre Raffarin a un jugement globalement positif sur la Chine. Tout d’abord par les multiples réalisations du régime, phénomène unique de développement dans l’histoire de l’humanité, qu’il développe dans son livre, mais aussi pour des raisons stratégiques. Car c’est en cela que la Chine intéresse Jean-Pierre Raffarin. Les relations que la France peut nouer avec elle doivent lui permettre d’élargir ses marges de manœuvre.

De fait, Jean-Pierre Raffarin s’inscrit dans la ligne gaullo-mitterrandiste. Il ne faut pas oublier qu’il était le Premier ministre de Jacques Chirac lorsque ce dernier s’est opposé spectaculairement à la guerre d’Irak en 2003.

Longtemps, l’Occident a cru que le marché conduirait la Chine vers la démocratie. Xi Jinping a mis fin à cette rêverie en montrant sa volonté de conserver « le modèle socialiste aux caractéristiques chinoises » c’est-à-dire le leadership du PCC (parti communiste chinois). « Nous resterons donc durablement en désaccord quant à nos systèmes politiques, mais cela n’empêchera pas la Chine de jouer un rôle de premier plan au niveau mondial. Et sur certains sujets, comme le multilatéralisme, nous serons sans doute plus proches de ses positions que de celles des Américains ! » écrit Jean-Pierre Raffarin. Selon lui, « l’idée de l’OTAN est de nous faire payer et taire à la fois. En revanche, la Chine semble plus favorable au destin européen. Elle peut nous aider à gagner en autonomie vis-à-vis de la « grande Amérique » ».

Pendant les trois décennies qui ont suivi la mise en œuvre de la politique d’ouverture de la Chine, nous avons eu l’impression qu’elle finirait par adopter d’autres modes libérales de société. L’Europe a donc tenu un discours destiné à la convaincre de suivre ses préceptes dans son propre intérêt. S’il y a une période où les Chinois ont été demandeurs de conseils, c’était sur des sujets précis et techniques, mais pas sur la manière de gérer leurs affaires internes.

C’est dans cette optique qu’il déplore que la politique européenne à l’égard de la Chine relève plus d’un suivisme de la politique américaine que d’un choix européen murement réfléchi : « En 40 ans, la Chine n’a été que deux fois le sujet principal d’un conseil européen : en juin 1989 après Tian An Men et en mars 2019 en pleines tensions commerciales sino-américaines. Dans tous les cas, l’Europe n’est pas dans l’action, mais dans la réaction. »

Une directive de la Commission européenne au printemps 2019 qualifia en effet la Chine de « rival systémique » de l’Europe. Il se demande si le changement de ton européen est le fruit d’une véritable prise en considération des ambitions chinoises, ou s’il reflète simplement un alignement sur les États-Unis. Pour lui, cela ne veut pas dire que les États-Unis ont forcément toujours tort et que nous ne devons pas partager certaines de leurs opinions. Mais il craint que notre alignement trop systématique sur eux puisse finir par nuire à nos objectifs, sans parler de notre crédibilité auprès d’un partenaire aussi important que la Chine.

Jean-Pierre Raffarin rappelle que lors de la crise de la dette européenne, les Chinois ont massivement acheté de la devise européenne pour la soutenir, alors que les milieux d’affaires américains diffusaient des avis de décès de la zone euro.

Jean-Pierre Raffarin a le mérite – mais c’est sans doute ce qu’on lui reproche – de s’écarter d’une ligne politique occidentaliste. Il ne s’agit pas de céder servilement à la Chine parce qu’elle va devenir la première puissance mondiale. Le reproche est d’ailleurs exercé généralement par des gens qui ont dit amen à toutes les politiques américaines, guerre d’Irak de 2003 incluse. « Nos égarements à l’égard de la Russie ont grandement favorisé l’émergence de l’association sino-russe. Bien enracinée dans nos esprits, la menace russe nuit à nos intérêts. Sur ce sujet comme sur d’autres nous nous sommes trop calés sur l’agenda des États-Unis, qui, nous le voyons désormais régulièrement, ne s’attachent qu’à défendre leurs seuls intérêts. » Poursuit Jean-Pierre Raffarin.

Français et Européens n’ont à suivre ni la politique chinoise ni la politique russe. Mais ils n’ont pas à suivre non plus la politique américaine. L’Europe doit avant tout définir sa propre politique, ce qui veut dire ne pas automatiquement, au nom de l’atlantisme, épouser la cause américaine dans son duel pour la suprématie mondiale avec la Chine. Nous n’avons bien sûr pas le même système politique que la Chine. Le nôtre est bien plus proche de celui des États-Unis. Mais c’était encore davantage le cas lorsque le général De Gaulle a reconnu la République populaire de Chine en 1964. Enfin – et c’est une question cruciale dont beaucoup n’ont pas conscience et que peu osent poser – qui, aujourd’hui, menace le plus notre souveraineté ? Notre allié ou notre « rival systémique » ? Qui applique de façon brutale à notre encontre une législation extraterritoriale ?

 

 

Jean-Pierre Raffarin vient de publier « Chine, le grand paradoxe » aux éditions Michel Lafon

Pascal Boniface vient de publier « Requiem pour le monde occidental » aux éditions Eyrolles, et la mise en perspective de « L’art de la guerre de Sun Tzu » aux éditions Ekho (Armand Colin). 
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