L'édito de Pascal Boniface

« Nous ne sommes plus seuls au monde »– 3 questions à Betrand Badie

Édito
17 mars 2016
Le point de vue de Pascal Boniface

Bertrand Badie, expert en relations internationales, est Professeur des universités à Sciences-Po Paris. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Nous ne sommes plus seuls au monde : un autre regard sur l’ »ordre international » », aux Éditions La Découverte.


Pensez-vous que l’analyse des relations internationales est encore aujourd’hui trop centrée sur les États et la puissance ?


Évidemment oui, puisqu’elle fait rarement l’effort de regarder non seulement en direction des « acteurs globaux » (firmes multinationales, ONG…), mais aussi des sociétés et des acteurs sociaux. Regardez les conflits contemporains : dans leur grande majorité, ils dérivent de la décomposition des États, des Nations et, pire encore, des sociétés. Les relations internationales – qui se limitaient jadis à une compétition de puissances – se ramènent aujourd’hui à une compétition de faiblesses, face à laquelle les instruments militaires ne peuvent pas grand-chose et, en tout cas, n’emportent pas la décision.


Qu’est-ce qui vous fait écrire que le soft power n’a jamais réussi à être un substitut du hard power ?


Le soft power a été conçu et pensé, notamment aux États-Unis après la défaite essuyée au Vietnam, afin de rattraper, par le jeu de la domination douce, les échecs d’un hard power qui commençait à atteindre les limites de ses capacités. Le succès était bien apparent : la consommation mondiale subissait l’attraction visible du modèle américain. Mais politiquement le phénomène ne produisait pas les effets attendus : boire du coca-cola, parler anglais, fréquenter les universités de la côte Est ou être « cinéphage » des superproductions américaines, ne vous convertissait pas en soutien de la diplomatie américaine ! Deux exemples ne trompent pas : celui de l’Amérique latine et celui du Moyen-Orient, tous deux très sensibles au modèle américain et qui ont développé, dès les années 1980, un anti-américanisme parfois virulent.


Vous dénoncez un tournant néoconservateur de la France après 2003. Mais peut-on mettre toutes les interventions militaires dans le même sac ? Le Mali n’est-il pas l’opposé de la Libye ?


Différent oui, mais certainement pas opposé. A la base du néo-conservatisme, on trouve une vision hiérarchique et civilisationnelle des cultures, teintée de messianisme et de la conviction que cette attitude proactive atteint son maximum d’efficacité en faisant usage de la force, non plus face à des « ennemis », familiers des théories réalistes, mais face à des « criminels » avec qui on ne négocie pas. En épousant la thématique de la « famille occidentale », en rappelant la supériorité de nos valeurs, en brandissant l’argument d’une « responsabilité particulière de la France », en décidant à la place de l’autre de manière « intraitable », on s’installe dans un néo-conservatisme « soft », atténué seulement par le fait que la France ne dispose ni des moyens des États-Unis, ni de l’intensité de leur messianisme.

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