L'édito de Pascal Boniface

Fabius et sa vision du monde : l’homme-clé du quinquennat de Hollande ?

Édito
2 septembre 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
 En conclusion de la conférence des ambassadeurs, la semaine dernière, Laurent Fabius a voulu restituer l’action diplomatique française dans un cadre global sans se contenter d’une énumération des crises en cours. La France est l’un des rares pays crédités d’une capacité à penser de façon globale, encore faut-il ne pas déserter ce terrain.

Laurent Fabius est l’un des rares à pouvoir allier capacité d’agir et de conceptualiser et il est venu de façon bienheureuse combler un vide.

Le ministre des Affaires étrangères a expliqué la multiplication des crises et le sentiment d’inquiétude générale qui s’en dégage par trois facteurs.

Le premier est la "dépolarisation" du monde, loin du monde multipolaire organisé auquel aspire la France. Le deuxième est l’éclatement de la puissance, avec des États émergents qui revendiquent une place accrue et la multiplication des acteurs qui chacun exerce une parcelle de pouvoir. Ceci, selon Laurent Fabius, paralyse les mécanismes traditionnels de sécurité collective. Selon sa formule "il y a davantage de force à contrôler et moins de forces pour les contrôler". Troisième facteur : la dispersion de la capacité destructrice qui, pour des raisons technologiques, permet des groupes ou même des individus à acquérir plus facilement qu’hier des moyens de destruction.

Le premier objectif pour la France, c’est la paix et la sécurité. L’intervention militaire est dès lors possible et souhaitable à partir du moment où elle est conforme au droit international, comme ce fut le cas au Mali et au Centrafrique. Abordant le conflit israélo-palestinien "qui alimente un terreau permanent d’affrontements", Laurent Fabius va bien plus loin que François Hollande et déclare qu’il faudra bien, à un moment, reconnaître l’État palestinien.

Deuxième objectif : l’organisation de la planète et sa préservation, qui passent par une réforme du Conseil de sécurité et l’arrivée de nouveaux membres permanents. Fabius préconise une auto-suspension volontaire par les cinq membres permanents de leur recours au veto en cas de crime de masse. Par ailleurs, la France doit être le pays hôte d’une conférence sur le climat en 2015. Jusqu’ici, ces conférences ont échoué à parvenir à un accord permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le ministre des Affaires étrangères, qui estime que la réussite de la conférence de Paris sera non seulement l’objectif de l’an prochain, mais sans doute la mission principale du quinquennat sur le plan diplomatique, souhaite parvenir à un accord universel juridiquement contraignant.

Le troisième objectif est la relance et la réorientation de l’Europe, qui ne peut accepter de voir 25% de ses jeunes au chômage.

Le quatrième est le redressement économique de la France, auquel le Quai d’Orsay doit activement participer. Sa nouvelle dénomination, d’ailleurs, le laisse entendre : ministère des affaires étrangères et du développement international. Le Quai d’Orsay est désormais en charge depuis cinq mois du commerce extérieur et de la promotion du tourisme. Les ambassadeurs sont dorénavant missionnés pour attirer les investissements extérieurs en France et pour aider nos entreprises à conquérir des marchés à l’étranger.

Laurent Fabius martèle depuis sa nomination qu’il ne peut pas y avoir de rayonnement politique durable sans redressement économique et que le statut de grande puissance de la France sera atteint si elle ne redonne pas un dynamisme à son économie. Le rattachement du tourisme au ministère a fait sourire certains ; c’est une erreur car en termes économiques, le tourisme peut être créateur très rapidement d’emplois non délocalisables. La France est la première destination touristique mondiale (encore faut-il préserver ce rang), mais elle n’est pas le premier pays en termes de recettes touristiques. Notons que les touristes qui ont séjourné en France sont autant d’ambassadeurs potentiels pour notre pays.

Laurent Fabius a pour nette ambition de laisser une trace au Quai d’Orsay et de s’inscrire dans la durée. Il le fait en réformant le ministère, en s’occupant de la "machinerie" des structures, en mettant les mains dans le cambouis. On ne peut plus dire aujourd’hui, comme pouvait le faire De Gaulle, "l’intendance suivra".

Laurent Fabius veut être un stratège qui agit et pense de façon globale. Et qui, sans être à Bercy, pourrait jouer un rôle important dans le redressement économique de la France, ambition jumelle avec celle consistant à redonner du lustre à notre politique extérieure.

S’il réussit, il sera l’homme-clé du quinquennat de François Hollande.
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