L'édito de Pascal Boniface

Une Conférence des ambassadeurs et des ambassadrices sous le signe de Trump

Édito
30 août 2018
Le point de vue de Pascal Boniface
Cette année, lors de la traditionnelle Conférence des ambassadeurs et des ambassadrices de France (nouvelle appellation), il n’y eut aucun invité étranger mis à l’honneur. En effet, la ministre canadienne, Chrystia Freeland, qui devait remplir ce rôle, a dû décliner au dernier moment, du fait de la renégociation de l’accord ALENA. Bien qu’absent, ce fut Donald Trump qui fut omniprésent.

Dans son discours du 27 août 2018, E. Macron s’est fait le « chantre du multilatéralisme » (pour reprendre sa propre expression) et le sévère critique de l’unilatéralisme, dont il a fait sa principale cible. Il a notamment évoqué la nécessité de construire de nouvelles alliances afin d’appréhender les défis contemporains.

Il a plus nettement insisté sur le fait que l’Europe ne pouvait plus « remettre sa sécurité aux seuls États-Unis ». Selon lui : « C’est à nous aujourd’hui [évoquant la fin de la guerre froide] de prendre nos responsabilités et de garantir la sécurité et donc la souveraineté européenne ». Il a même ajouté : « Des alliances ont aujourd’hui encore toute leur pertinence, mais les équilibres, parfois, les automatismes sur lesquels elles s’étaient bâties sont à revisiter ».

Alors que sa stratégie mise en place avec le président américain – contacts intenses, voire chaleureux – avait été critiquée pour son absence de résultats, il l’a défendue et revendiquée en plaidant pour la nécessité de convaincre son interlocuteur avant la prise de décision pour s’y opposer de façon claire une fois celle-ci prise. Cette politique de dialogue qui n’empêche pas l’opposition, ou d’une opposition qui n’interdit pas le dialogue, a été également mise en avant avec la Chine, dont il a estimé qu’elle avait « posé l’un des concepts géopolitiques les plus importants des dernières décennies avec ses nouvelles routes de la soie », qu’il a tout de même qualifié « d’hégémonique ». Il a de plus réaffirmé sa volonté de s’y rendre chaque année. C’est la même méthode employée avec la Russie : celui d’un dialogue exigeant qui refuse ostracisme et complaisance.

Par rapport au président turc, Recep Tayyip Erdoğan, au « projet panislamique régulièrement présenté comme antieuropéen, dont les mesures régulières vont plutôt à l’encontre de nos principes », il annonce suspendre les négociations d’adhésion de son pays à l’Union européenne (UE) tout en engageant un dialogue stratégique avec lui. Ces éléments sont conformes à la vision que le président français a d’une Europe à plusieurs niveaux : un cercle plus intime et petit que l’actuelle UE et un cercle ultime, plus large.

Pour revenir au défi posé par D. Trump, il s’est demandé si les États-Unis – et la Chine – nous regardaient comme une puissance avec une autonomie stratégique. Sur ce dernier thème, la ministre des Armées y a centré le dîner qu’elle organisait le 28 août. Là encore, D. Trump se trouvait dans tous les esprits. Florence Parly estime que s’il ne faut pas s’alarmer de la politique de prise de distance du président américain avec l’Europe, il ne faut pas pour autant la mésestimer ou l’encourager, mais s’y préparer, notamment en renforçant les capacités opérationnelles de l’UE.

La France est d’autant plus attendue que l’Allemagne, notamment par les déclarations de son ministre des Affaires étrangères, a mis la barre assez haut. Heiko Maas a en effet déclaré refuser « d’accepter que soit décidée à notre insu une politique dont nous devrions supporter les coûts ».[1] Le couple franco-allemand pourrait être le moteur de ce projet. L’Allemagne n’a plus besoin de la protection américaine et n’est plus effarouchée à l’évocation du simple terme d’« autonomie stratégique ». Il y a cependant une contradiction dans le raisonnement français, car si l’objectif est de porter à 2 % du PIB notre budget militaire (ce qui devrait le conduire à 50 milliards d’€), les moyens du quai d’Orsay sont, eux, régulièrement réduits. Dans son discours du 28 août, le Premier ministre français, Édouard Philippe, a même évoqué l’objectif de réduire de 10% d’ici 2022 la masse salariale des administrations françaises présentes à l’étranger. Établir un dialogue exigeant avec la totalité des grandes puissances et être présent sur tous les fronts diplomatiques nécessiteraient plutôt un renforcement des moyens de notre action extérieure.

L’année à venir sera capitale pour E. Macron. Comment espère-t-il gagner son pari européen ? Surtout, comment traduire en acte un discours aussi dur à l’égard de D. Trump ? C’est bien sur le progrès de l’autonomie stratégique européenne qu’il sera jugé.

[1] Le Monde, 24/08/2018.
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