L'édito de Pascal Boniface

 La France est handicapée par son pessimisme : Védrine et Lamy lancent un message d’espoir

Édito
18 mars 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
 Pascal Lamy et Hubert Védrine sont certainement parmi les très rares Français ayant une vision globale des affaires mondiales et du rôle que la France peut y tenir. Sans jamais avoir exercé de mandat électif en France, ils font partie des responsables français les plus reconnus et estimés à l’étranger.

Pascal Lamy est un peu le symbole de la mondialisation, Hubert Védrine du gaullo-mitterrandisme. Mais Pascal Lamy réfute l’occidentalisme et Hubert Védrine estime que la France devrait plus jouer la carte de la mondialisation.

Le hasard du calendrier fait qu’ils sortent tous les deux concomitamment deux petits livres incisifs et musclés. "La France au défi" (Fayard) pour Hubert Védrine et "Quand la France s’éveillera" (Odile Jacob) pour Pascal Lamy.
 

Les Français sont parmi les peuples les plus pessimistes "recordmen du monde du pessimisme" selon Lamy, plus pessimiste que "des peuples frappés par d’immenses tragédies comme les Afghans et les Irakiens" selon Védrine. Ce dernier voit dans le manque de confiance en soi des Français à la fois la résultante et le facteur aggravant de notre handicap majeur : "Nous ne sommes pas pessimistes à cause d’un handicap, les Français sont handicapés par leur pessimisme", écrit-il. Ils partent d’un constat comparable : la France ne se porte pas très bien et ses difficultés économiques lui font perdre du terrain sur le plan international. Mais c’est à tort que l’on en rend responsable la mondialisation.

C’est dans la zone euro que la France enregistre le déficit des échanges plus importants – 41 milliards d’euros sur 67 avec les pays qui ont la même monnaie, les mêmes conditions sociales de production et les mêmes normes environnementales. Hors importations énergétiques, la France, en déficit avec les pays de la zone euro, dégage un excédent avec le reste du monde.

Dénoncer les pays émergents comme responsables des difficultés françaises "relève donc soit de l’ignorance soit de la mauvaise foi populiste et est de plus contre-productif puisque la croissance de demain se trouve précisément dans ces pays", écrit Lamy.

"Il faut admettre que le destin de la France se situe dans le cadre de l’économie globale de marché qui doit être ouvert et réorganisé par des règles plus claires", estime Védrine. "Sortir de l’euro, pourquoi pas du système solaire ?" ironise-t-il.
 

Les deux auteurs citent Marcel Gauchet, pour lequel la France est un pays qui a un grave problème avec la vérité à son propre sujet. Védrine va plus loin et estime qu’une partie des élites actuelles, à commencer par les intellectuels, a privilégié la repentance en ce qui concerne l’histoire nationale plutôt que la préparation de l’avenir. On l’alimente depuis 20 ou 30 ans pour des raisons d’appartenance politico-médiatique.

Il peste contre le principe de précaution, qu’il voudrait voir remplacer par le principe de réalisme, de courage, d’innovation pour sortir de la mélancolie nationale. Védrine propose de substituer à la vexation, la honte, la culpabilité ou au sentiment de déclassement, la lucidité et la franchise historique, comparer pour se rassurer et dépasser les attitudes binaires.

On pourrait d’ailleurs lui faire remarquer, lui qui déplore le rejet des élites par une grande majorité, qui dénonce le "populisme", de ne pas pousser plus loin le raisonnement sur les causes de ce rejet, car il apporte ici une grande partie de la réponse.
 

Pascal Lamy propose de rompre le monopole des États-nations souverains dans l’action internationale. Au moyen d’une coalition nouvelle, des partenariats transversaux pourraient se former sur les causes communes associées : organisation de la cité civile, pouvoirs publics nationaux, collectivités locales, entreprises convaincues de la responsabilité sociale…

Il estime que la mission de l’Europe est justement de "civiliser la mondialisation".

Il condamne l’intergouvernemental qui donne "tu défends ma City financière, je ne t’ennuierais pas avec des normes anti-pollution pour tes grosses voitures." Il estime que la pratique intergouvernementale a des conséquences graves. Elle divise là où l’union aurait besoin d’unité.
 

Sur ce point, bien sûr, Védrine ne rejoint pas Lamy, car il croit à la primauté de l’échelon national. Pour lui, la voix de la France reste écoutée, comme on l’a vu à propos de la Libye, du Mali, de l’Iran, de la République centrafricaine. Mais il faut, pour rester pertinent à l’échelle mondiale, réussir le redressement économique et nous défaire des blocages.

Les deux personnalités, connues pour leur réalisme, peu suspectées d’être adeptes d’envolées romantiques, nous livrent au final un message d’espoir.
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