L'édito de Pascal Boniface

« Charlie Hebdo » : combattre l’antisémitisme passe par la lutte contre l’islamophobie

Édito
20 janvier 2015
Le point de vue de Pascal Boniface
Les attentats terroristes qui ont sauvagement endeuillé la France, la mobilisation collective qu’ils ont suscitée en réaction, vont-ils déboucher sur un sursaut collectif national ?

Aujourd’hui, c’est un fait : les Juifs français ont peur d’être tués parce que Juifs, alors même que les préjugés antisémites ont globalement reculé dans la société française. Quant aux Arabes et aux musulmans, et c’est aussi un fait, ils souffrent encore de lourdes discriminations même si, là encore, leur situation est meilleure qu’il y a une ou deux générations. Faut-il rappeler qu’au début des années 80, entre 20 et 30 Arabes étaient tués chaque année par des agressions racistes, souvent en toute impunité ?

« On ne naît pas antisémite, on le devient »

Cela étant, il ne faut pas le nier, il y a chez certains jeunes arabes musulmans un antisémitisme qui s’est développé. Il y a également chez certains Juifs français une hostilité croissante envers les Arabes et les musulmans.

Au-delà des effets, il faut réfléchir sur les causes. La peur, qui peut se transformer en hostilité, suscitée par les Arabes chez les Juifs, vient de la crainte d’être agressé pour le simple fait d’être Juif, d’être visé en tant que tel. L’antisémitisme n’est pas le fruit d’une mutation génétique chez les Arabes et les musulmans.

Roger Cukierman dit avec pertinence : « On ne naît pas antisémite, on le devient ». Il s’est en effet développé depuis le début des années 2000.

L’islamophobie moins sanctionnée que l’antisémitisme

Réfléchir sur les causes n’est en rien excuser ou légitimer, c’est tout le contraire. Si l’on veut combattre un phénomène, il faut en comprendre le processus.

Les raisons de l’antisémitisme qui s’est développé depuis le début du siècle sont liées à plusieurs perceptions : l’assimilation des Juifs aux Israéliens et même parfois au gouvernement israélien en tant que tel ; le sentiment d’une discrimination et d’avoir un statut de seconde zone alors que les Juifs seraient des citoyens de plein droit ; une inégalité dans l’accès à l’emploi et au logement (alors même que contrairement à il y a 30 ans, de nombreux Arabes sont ingénieurs, docteurs, avocats, professeurs, etc.) ; le sentiment que les responsables politiques et les médias sont intraitables avec l’antisémitisme et le sont nettement moins avec le racisme anti-arabe et islamophobe.

Ce dernier ne suscite pas la même mobilisation que les actes antisémites de la part des médias et des responsables politiques. On peut même dire que des propos hostiles aux musulmans ou aux Arabes peuvent passer librement dans le débat public, alors qu’un propos antisémite exclurait de la scène publique celui qui l’aurait tenu.

L’importance du dialogue avec les jeunes des quartiers

L’environnement international a beaucoup agi. C’est la guerre d’Irak et les images d’Abou Ghraib, qui ont fait basculer les frères Kouachi vers une pensée radicale et qui les a conduits à des actes terroristes. Le non-règlement du conflit israélo-palestinien joue également, comme l’a déclaré François Hollande.

On a beaucoup parlé des refus de célébrer la minute de silence dans certains établissements scolaires de banlieue. Cela a entamé une réflexion sur le rôle de l’école.

Il est assez consternant de voir des journalistes ou intellectuels qui n’ont jamais mis les pieds dans un établissement scolaire de banlieue nous dire comment faire pour résoudre le problème. Parmi eux, d’ailleurs, certains ont tenu des propos stigmatisant sur les jeunes des quartiers, pour s’étonner par la suite de leur repli sur soi.

Il faut surtout dialoguer. Ceux qui connaissent les difficultés que l’on peut rencontrer dans les établissements de banlieue, pour justement les fréquenter, savent que la meilleure méthode est le débat, le dialogue ouvert, et certainement pas l’injonction ou l’introduction de cours de morale abscons dans les cursus, asséner des vérités de haut en bas, des valeurs dont chacun peut constater qu’elles sont incarnées dans la vie réelle et qu’elles ne résolvent pas le problème. Il aggrave le mal.

La République doit mettre tous ses enfants sur un pied d’égalité

Il faut être ouvert sur l’échange pour être ferme sur les principes. Il faut avoir confiance en l’intelligence. Cela doit s’accompagner d’une véritable réflexion sur la prise en charge de la radicalisation de type sectaire mais ce n’est pas le rôle de l’école.

Combien de médias ont eu des couvertures hostiles ou dégradantes pour les musulmans, qu’ils n’auraient eus pour aucune autre communauté ? Il est pour le moins ironique, et c’est un euphémisme, que les mêmes pointent par la suite la responsabilité de l’école.

On ne luttera contre l’antisémitisme que si on lutte avec la même vigueur contre le racisme anti-arabe et si la République met tous ses enfants sur un pied d’égalité, ce qui, pour de multiples raisons, n’a pas été le cas jusqu’ici.

En ayant des mots très forts sur la nécessité de combattre sur le même plan l’antisémitisme et l’islamophobie, François Hollande a montré un chemin, un cap. Il faut combattre avec la même vigueur toutes les formes de racisme.

La lutte contre l’islamophobie passe par la lutte contre l’antisémitisme. La lutte contre l’antisémitisme passe par la lutte contre l’islamophobie.
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