04.10.2024
« Géorugbystique » – 3 questions à Antoine Duval
Édito
26 septembre 2019
Antoine Duval, étudiant à HEC, passionné de Rugby et de Géopolitique, répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Géorugbystique » aux éditions Sydney Laurent.
Le rugby est-il passé d’un sport de ségrégation à un sport de contestation ?
Le rugby a vu le jour comme sport de ségrégation. Réservé à une élite anglaise, il y a une réelle volonté de ne pas élargir sa pratique, d’en faire un sport commun à une certaine classe sociale, un sport qui partage ses valeurs et les magnifie. Les premiers entraînements ont ainsi lieu le matin en semaine afin que seuls ceux qui ont le loisir de ne pas travailler puissent s’y rendre. Parallèlement, dans les nombreuses colonies britanniques, la pratique du rugby est longtemps réservée aux colons.
Mais très vite, ceux qui avaient la main sur le rugby se voient dépassés et le rugby se transforme en outil de contestation. D’une part, il s’agit d’un sport qui colle au goût de la culture physique et de l’affrontement que l’on retrouve beaucoup chez les classes populaires britanniques. Les mineurs gallois et écossais s’approprient le sport afin de s’opposer dans les règles et de manière symbolique avec la haute bourgeoisie du pays et surtout les Anglais dominateurs. D’autre part, on retrouve la même synergie chez les peuples colonisés qui y voient un moyen de s’opposer sur un pied d’égalité avec le colon. Le rugby a cet avantage de permettre une certaine violence symbolique pendant quatre-vingts minutes avant de rapprocher les joueurs dans une troisième mi-temps souvent bien plus disputée que les deux premières. Cette dimension contestataire du rugby se retrouve aussi à l’échelle internationale où des pays qui ne sont pas terre de rugby comme le Japon viennent aujourd’hui concurrencer des nations qui ont toujours régné sur le rugby comme l’Angleterre.
Au-delà d’une transition de sport de ségrégation à sport de contestation, le rugby est devenu depuis peu un sport de cohésion. L’utilisation du rugby à des fins de développement permet d’inciter l’entraide au niveau local, national mais aussi international. Les grandes nations du rugby se sentent impliquées dans leur mission d’aide au développement grâce aux valeurs que véhicule ce sport et à l’instar du football avant lui, le rugby essaie de rapprocher les individus et d’être un outil éducatif pour la jeunesse. À voir si cette tendance va se généraliser.
Selon vous, l’IRB, International Rugby Board, est plus regardant que la FIFA sur les tentatives des pays organisateurs de la Coupe du monde de se mettre en avant aux yeux du monde. Pourquoi ?
Contrairement aux Coupes du monde de football, les Coupes du monde de rugby ont souvent été attribuées à plusieurs pays. On sait à quel point les pays peuvent utiliser les grands événements sportifs au service de leur soft power comme l’a fait la Russie avec le mondial de football de 2018. Au rugby, le partenariat entre pays organisateurs a donc longtemps été privilégié pour éviter toute utilisation politique du rugby. En 1987 par exemple, la première édition est organisée conjointement par la Nouvelle-Zélande et l’Australie. À l’exception de la Coupe du monde 1995 qui fut on ne peut plus utilisée par le gouvernement Sud-africain, ce n’est qu’à partir des années 2010 que le Mondial est attribué à des nations seules. Nouvelle-Zélande, Angleterre, Japon et France se succèdent mais la vérité est que World Rugby ne cherche pas à mettre en avant des pays grâce au Mondial mais bien des régions rugbystiques qu’elles soient traditionnelles (Océanie et Europe occidentale) ou émergentes (Asie de l’est).
L’organisation dans un pays unique a pour seuls buts de faciliter d’une part l’organisation mais aussi de concentrer davantage les supporters pour augmenter la ferveur qui entoure l’événement. Car au-delà des frontières, chaque coupe du monde s’appuie sur une volonté de développement régional du rugby. Le programme Get Into Rugby en est l’exemple type. Les organisateurs de la Coupe du monde au Japon se sont associés avec le Childfund Passitback pour amener le rugby dans les campagnes asiatiques et faire découvrir son pouvoir éducatif au plus grand nombre. L’attribution de la Coupe du monde au Japon, plus que de mettre en avant le Japon sur l’échiquier du rugby mondial a donc pour objectif de contribuer au développement et à la reconnaissance du rugby asiatique en général. Il ne serait pas étonnant qu’une des prochaines Coupe du monde soit attribuée aux États-Unis ou au Canada, pays leaders du développement du rugby mondial, et pourquoi pas plus tard à une nation africaine pionnière comme le Kenya.
La mondialisation du rugby a-t-elle atteint ses limites ?
Le rugby est un sport dont le développement semble aujourd’hui loin d’avoir atteint ses limites. L’attraction croissante du rugby féminin en est une preuve irréfutable.
On peut distinguer trois phases dans le développement du sport. Une première mondialisation du ballon ovale s’effectue avec l’expansion de l’Empire britannique dans la seconde partie du XIXe siècle. Terminée aujourd’hui, il s’agit de la phase la plus importante de son développement, celle qui a donné naissance aux grandes nations du rugby que nous connaissons aujourd’hui. La deuxième phase d’expansion a commencé en 2009 avec l’admission du rugby aux Jeux olympiques, entraînant de fait le déblocage de fonds conséquents dans des pays qui se veulent compétitifs dans cette compétition avec en tête les États-Unis et la République Populaire de Chine. Enfin, la phase de développement la plus récente (depuis 2015 environ), et sans doute la plus intéressante, est celle qui est liée à l’utilisation du rugby comme un outil de développement. Portée essentiellement par des associations comme l’association française Terres en Mêlées et la fédération internationale World Rugby, cette dynamique d’utilisation du rugby est celle qui met le plus en avant ses aspects bénéfiques chez ceux qui le pratiquent. Elle est donc financée par les pays occidentaux qui souhaitent investir dans le développement de pays émergents grâce au sport.
Alors pour en revenir à la mondialisation du sport, je pense que celle-ci est loin de toucher à sa fin car aujourd’hui, des pays qui ont toujours été loin de l’influence britannique ou qui n’ont jamais eu les moyens de se lancer dans une course à l’influence grâce au sport ont l’opportunité de découvrir un sport qui ne leur a jamais vraiment été ouvert. Cette année, les compétitions africaines ont battu leur plein, notamment sur le plan du rugby féminin alors que le rugby a toujours été un sport mineur sur le continent. Ce sont de nouvelles catégories de joueurs potentiels et notamment les femmes qui sont touchées par le développement du rugby. Avec la médiatisation croissante du rugby, particulièrement à sept, de nouveaux pays se lancent dans l’aventure. Il semblerait donc que non, la mondialisation du rugby n’ait pas atteint ses limites et au contraire, elle ne cesse de repousser les limites qu’on lui croyait avoir.