04.10.2024
« La grande manipulation de Paul Kagamé » – 4 questions à Françoise Germain-Robin et Deo Namujimbo
Édito
19 juillet 2023
Comment expliquer que Paul Kagamé continue de garder une excellente image dans les médias français ?
Françoise Germain Robin : Il est tout à fait clair que Paul Kagamé a acquis un statut de héros en 1994 lorsqu’il a pris le pouvoir à Kigali, en mettant fin au génocide des Tutsi et en chassant du pays les génocidaires du « hutu-power ». Il est apparu comme un sauveur, une sorte de chevalier sans peur arrivant d’Ouganda à la tête de sa jeune armée pour chasser les méchants. Depuis lors, sa gestion du pays a été magnifiée par la presse. Et il bénéficie, un peu comme Israël, d’un capital de sympathie mêlée de culpabilité face au génocide, qui rend quasiment impensable de le critiquer. Peu de journalistes ont suivi les exactions de son armée en République démocratique du Congo (RDC) où elle a pourchassé et massacré des dizaines de milliers de réfugiés hutus, et aussi, pas mal de Congolais. Le fait qu’il ait aidé Laurent-Désiré Kabila à chasser le vieux dictateur Mobutu, dont tout le monde voulait se débarrasser, a fait oublier tout le reste. Et depuis lors, il a réussi à donner une image rassurante de son pays : stabilité, reconstruction, modernisation jusqu’à faire de Kigali la capitale ultramoderne d’une « start-up nation » que l’on donne en exemple dans une Afrique qui va globalement plutôt mal ! Seuls quelques journalistes anglo-saxons comme Michela Wrong, Judi Rever, Stephen Smith ont montré l’envers du décor, à savoir l’élimination de toute opposition y compris par le crime, la répression sans pitié et la misère cachée d’une immense majorité de la population, sans parler des sanglantes ingérences armées chez les voisins, notamment en RDC. Cela commence juste à bouger un peu depuis qu’il est établi que Kagame est derrière les exactions de la milice M23 dans ce pays dont elle occupe plusieurs localités. D’ailleurs, plusieurs ouvrages, en plus du nôtre, sont parus ce printemps pour dénoncer cette situation et briser le silence.
Pourquoi l’immense RDC est en position d’infériorité face au petit Rwanda ?
FGR : Je veux juste dire que le « petit Rwanda » est doté d’une armée puissante, bien entrainée, disciplinée. Elle est bien armée par les États-Unis, la Grande-Bretagne et depuis peu aussi la France. L’Union européenne participe aussi à son financement. En ce qui concerne « l’immense RDC », je laisse Déo répondre.
Deo Namujimbo : Si le Rwanda est petit, son armée ne l’est pas, elle qui se permet de « louer » des milliers de supplétifs aux forces de maintien de la paix dans plusieurs pays africains, et même à Total Énergies au Mozambique. Tout en clamant hypocritement qu’elle est en RDC pour chasser les génocidaires des FDLR … depuis 25 ans ! Elle bénéficie depuis longtemps du soutien logistique et stratégique des États-Unis et de la Grande-Bretagne et elle est fortement soupçonnée de participer au pillage des minerais en RDC. De plus la RDC n’a pas d’armée à proprement parler, dirigée par des officiers affairistes pour la plupart mis en place par le Rwanda, des soldats mal payés et démotivés, sans aucune abnégation pour la cause nationale ni amour de la patrie. Les soldats congolais sont en permanence préoccupés par la survie de leurs familles, ce qui ne leur laisse pas le temps de penser à la défense de la patrie. La RDC a été sous embargo du conseil de sécurité de l’ONU sur les armes pendant plus de 20 ans, comme pour l’empêcher de se défendre. Un embargo qui vient juste d’être partiellement levé en mars.
L’image de Kagame est-elle plus atteinte aux États-Unis qu’en France ?
FGR : Nous montrons dans ce livre que les États-Unis ont toujours été les soutiens fidèles et très actifs de Paul Kagamé, qu’ils l’ont aidé à prendre le pouvoir depuis l’Ouganda, pays anglophone qui était leur plaque tournante dans la région. Soutien que dénonce par exemple la sénatrice Cynthia McKinney dans une lettre au président Bush que nous reprenons dans notre livre. Kagame était « l’enfant chéri » de Bill Clinton qui continue d’agir au Rwanda à travers sa fondation, accusée de participer au pillage des ressources du pays voisin. Il a fallu que les incursions de l’armée rwandaise et ses exactions deviennent insoutenables dans la deuxième guerre du Congo (1998-2002), pour que Washington fronce les sourcils. Barack Obama en revanche s’est fâché et a coupé l’aide militaire au Rwanda en 2012, quand, déjà, le M23 occupait l’est du Congo. Cette sanction a conduit au retrait de la milice. Depuis qu’elle est revenue, il y a un an, les États-Unis ont bien demandé à Kagamé de ne plus la soutenir, mais l’avertissement n’a été suivi d’aucune sanction. En revanche, l’arrestation et le procès de Paul Rusesabagina, le héros du film « Hôtel Rwanda », entre temps devenu citoyen américain et opposant à Kagamé, a sérieusement perturbé les relations américano-rwandaises et abîmé l’image du Rwanda et de son chef suprême aux États-Unis. Même s’il a été libéré en mars.
DN : Au même moment, la France et l’UE, tout en condamnant cette complicité avec le M23, octroient 20 millions d’euros à Kagame !
Comment mettre fin au pillage de la RDC ?
FGR : Il faudrait d’abord que la RDC retrouve sa souveraineté. Ce n’est pas simple, vu l’état de l’armée, comme l’a dit Déo. Le président Tshisekedi en est tellement conscient qu’il fait appel à des armées d’autres pays africains (Kenya, Angola, Burundi) pour faire face au M23 ! Il faudrait aussi que les puissances qui soutiennent le Rwanda cessent de le faire et cessent aussi de faire semblant de ne pas voir ce qui se passe. Il y a peu de chance que cela arrive, car ce sont eux qui sont finalement les bénéficiaires du pillage des minerais comme le cobalt, le coltan ou le lithium dont leurs industries ont besoin et qu’ils obtiennent ainsi à bas prix.
DN : Pour finir, bien des Congolais, notamment les fonctionnaires et les hommes d’affaires, devraient cesser de profiter de la situation pour s’enrichir honteusement au détriment de la criante majorité de la population. En résumé, les Congolais en général, au pays et dans la diaspora, de plus en plus conscients de la trahison de leurs élites, manifestent le besoin de changement, mais ont besoin de dirigeants responsables et de moyens pour changer les choses.