L'édito de Pascal Boniface

Vers un nouvel ordre du monde ?

Édito
6 mai 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Gérard Chaliand, éminent spécialiste des conflits internationaux, et auteur d’une vingtaine d’études de géopolitique, vient de publier « Vers un nouvel ordre du monde » (Ed. du Seuil, 2013). Il y aborde le nouvel ordre du monde qui s’élabore sous nos yeux, dont la crise actuelle, jointe à l’essor de l’Asie, révèle les traits. Il répond aujourd’hui aux questions de Pascal Boniface.

Vous expliquez dans votre ouvrage que la première mondialisation a été réalisée par les musulmans. C’est-à-dire ?
 

Si l’on entend bien par mondialisation celle des échanges, il ne fait pas de doute que la pleine mondialisation du monde connu entre le 8e siècle et la fin du 15e siècle a bien été réalisée par les musulmans comme conséquence de leurs conquêtes premières, de l’Espagne aux confins de l’Inde et de l’Asie centrale dans un premier temps, puis la conquête graduelle de l’Inde dès le 10e siècle suivi par l’investissement de l’Insuline. L’océan majeur durant cette période est l’océan indien de l’Hadramaout à Malâcca et jusqu’aux sultanats de Java et à Aceh, sans oublier les côtes de l’Afrique orientale, pour l’esclavage. On atteignait ainsi les ports de la Chine du Sud. Les routes dites de la soie étaient surtout empruntées par les caravanes musulmanes et l’on retrouve des mosquées jusqu’à Xian. Les Portugais au 16e siècle vont mettre en cause ce monopole.

Vous mettez en cause l’affirmation selon laquelle la Chine n’a pas de tradition expansionniste. Pouvez-vous nous en dire plus ?
 

La perception qui est véhiculée sur la Chine est qu’elle n’aurait pas, contrairement à d’autres Etats importants au cours de l’histoire, de tradition expansionniste. Cela est parfaitement exact si l’on considère la frontière Nord. C’est celle des menaces nomades qui ont été durant deux millénaires le problème militaire majeur de la Chine. Les dynasties fortes lançaient des contre-offensives et plus souvent des incursions mais n’ont jamais occupé le terrain. Afin de contrer les nomades, il est apparu plus judicieux de chercher à contrôler les oasis dites de la route de la soie. Mais si l’on feuillette un atlas historique, on constate que la Chine des 19 provinces proprement chinoises ne représente qu’un quart tout au plus du territoire actuel. La Chine s’est étendue vers le sud et a englobé le Vietnam (Tonkin) durant près d’un millénaire et elle s’est très vigoureusement avancée vers l’ouest. En 751, la Chine expansionniste des Tang se heurte aux Arabes et à leurs supplétifs musulmans à Talas, en Asie centrale. Le Szechuan et par la suite le Xinjiang sont investis. Sous la dynastie étrangère des Qin (Mandchous), qui est sinisée, l’expansion atteint son zénith. Elle sera repoussée par l’avancée des Russes vers 1860. Les Chinois perdent 2,5 millions de kilomètres carrés. Mais la Chine n’est pas seulement expansionniste, elle est impérialiste. Elle exerce chaque fois qu’elle a une dynastie puissante un impérium : les Etats voisins sont des tributaires. C’est le cas de la Corée, du Vietnam et de bien d’autres. L’image rassurante d’elle-même qu’elle a cherché à donner jusqu’à récemment fait partie de sa stratégie fondée sur le gant de velours. 
 


Vous regrettez que la France se soit provincialisée notamment en négligeant l’Asie. Pourquoi et que préconisez-vous ?

Nous nous sommes provincialisés. Peut-être l’intérêt pour l’Asie s’est-il amenuisé après le retrait d’Indochine, peut-être est-ce lié au graduel déclin d’influence en dehors d’une périphérie qui englobe l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique jusqu’au Congo… En tout cas, contrairement aux Britanniques dont les moyens n’excèdent nullement les nôtres – sauf bien sûr grâce à la diffusion de l’anglais -, nous ne suivons plus avec attention et régularité l’Asie qui, de l’Inde au Japon, représente plus de quatre milliards d’habitants. Nous n’avons pas l’équivalent de The Economist dont le titre est trompeur. C’est d’abord le meilleur hebdomadaire politique sur le marché. Nous n’avons pas non plus la rigueur et l’ouverture de la BBC malgré des efforts. Et d’une façon générale nos informations télévisées sont d’un provincialisme navrant ponctué de faits divers. Heureusement, au Figaro comme au Monde on cherche à l’international, qui nous préoccupe ici, et à couvrir un champ plus ambitieux. Le franco-français tend à monopoliser l’information.


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