L'édito de Pascal Boniface

Pour tout bagage, on a 20 ans

Édito
12 juillet 2018
Le point de vue de Pascal Boniface


Le 12 juillet serait-il une nouvelle date pour la fête nationale ? Car en réalité, a-t-on jamais autant célébré et illustré la fraternité et l’égalité en France que ce magnifique et bouleversant soir de 1998 ?

Un orgasme collectif pour près de 30 millions de personnes au coup de sifflet final. Des millions qui entonnent la Marseillaise à pleins poumons. Plus d’un million de personnes qui convergent ivres de joie sur les Champs Élysées, du jamais vu mis à part à la libération de Paris. On avait eu en mai 68 une foule en colère, et en janvier 2015 une foule recueillie dans la douleur et le drame. Mais cette fois-là, c’était une France qui était réunie, mélangée, bigarrée, joyeuse, sans esprit de revanche, sans drame à commémorer, sans aucun goût amer, avec juste l’envie d’être ensemble, de fraterniser avec tout un chacun, de devenir l’intime de celui qui était encore inconnu il sy a une minute. Tous unis et différents, il n’y a plus de chômeurs ou de tradeurs, plus de patrons ou d’ouvriers, plus de chrétiens, musulmans, juifs, francs-maçons ou athées. Tous croyaient en une France unie, mais diverse, une France triomphante, mais respectueuse des autres, une France forte, mais ouverte, une France d’un enthousiasme débordant, mais consciente de ce que ce moment unique représente.

Car le football c’est plus que du football. Rien d’autre n’aurait pu et n’a jamais pu susciter cette joie collective où tout est transcendé, magnifié, où l’instant devient éternité, où la vie est champagne, où on voudrait que tout s’arrête et tout recommence.

Mais si l’équipe de France de football a suscité un de ces très rares moments qui ont marqué l’histoire de notre pays, un de ces grands épisodes qui ont fait la France, où chacun se sent heureux et fier d’être français, tout en ayant un regard empathique pour le reste de la planète, ce n’est pas uniquement par ce qu’ils ont fait, à savoir gagner la coupe du monde, c’est aussi et surtout par ce qu’ils étaient, à savoir la France qu’on aime, la France qui rayonne autant dans l’Hexagone qu’à l’extérieur, au niveau global. Les 22 joueurs et leur entraîneur étaient singuliers et pluriels, solidaires et libres, de fortes personnalités individuelles se mêlant dans un collectif harmonieux. « Black-blanc-beur » était un raccourci heureux et approximatif, car il ne suffisait pas à décrire les multiples identités de ceux qui le mettaient en œuvre. C’est parce qu’ils étaient différents, d’une différence assumée et complémentaire, qu’ils s’assemblaient. C’est bien parce qu’on les acceptait tels qu’ils étaient qu’ils donnaient tout aux autres, parce qu’on ne leur demandait pas de compte qu’ils se livraient sans compter.

C’est parce qu’ils étaient cette façon si particulière d’être Français que tout le pays se rassemblait derrière eux et que le monde entier les admirait et les célébrait. Rarement la France n’a autant rayonné. Ils étaient sur le toit du monde, sans arrogance, donnant l’image d’une fraternité universelle, d’une France qui a gagné le mondial parce qu’elle est mondiale. 20 ans après ce moment magique est encore dans toutes les mémoires. Il ne faut pas lui demander plus que ce qu’il peut donner. Il était une arme pour aller plus loin, il n’était pas la baguette magique qui allait résoudre l’ensemble des problèmes du pays. Il demeure la boussole pour l’avenir, la recette d’un vouloir vivre-ensemble qu’on doit retrouver, d’une dignité collective, la victoire de 1998. C’est là la mondialisation heureuse, c’est la France et le monde qui se soutiennent mutuellement.
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