L'édito de Pascal Boniface

La révolution du jasmin va-t-elle atteindre l’Egypte ?

Édito
1 février 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

Après le renversement du régime de Ben Ali, ce ne sont pas les pays du Maghreb qui sont les plus directement atteints par l’onde de choc mais l’Egypte de Moubarak. Les manifestations se multiplient et ne semblent pas pouvoir être enrayées par le couvre-feu.

Il existe de nombreuses similitudes entre les deux pays. Dans les deux cas le chef de l’État est au pouvoir depuis très longtemps, trop longtemps pour la population : Moubarak y est depuis 1981, Ben Ali depuis 1987. Dans les deux cas, il y a une population constituée de 20 millions d’internautes sur 85 millions d’habitants en Égypte, 4 millions sur 11 en Tunisie. Dans les deux pays, le régime légitime son caractère autoritaire et répressif par la peur de la menace islamiste. Dans les deux cas, le président semble avoir un temps de retard pour réagir, en faisant part de promesses qui ne sont pas jugées crédibles et un tour de vis répressif. Moubarak n’a pas annoncé qu’il ne serait pas candidat aux présidentielles de septembre ce qui aurait permis de desserrer l’étau. Ni les mesures de couvre-feu ni celles de brouillages Internet ne suffiront à calmer les esprits. Moubarak n’est pas en mesure de siffler la fin de la récréation.

Il y a cependant des différences entre la Tunisie et l’Égypte. La première est que, proportionnellement, la mobilisation est moins forte en Égypte qu’elle ne l’a été en Tunisie. La seconde est le rôle de l’armée. Elle n’était pas au pouvoir en Tunisie ; elle l’est en Égypte. Les militaires étaient mécontents d’une libéralisation économique trop forte qui s’est accompagnée d’une corruption grandissante ; ils n’étaient pas non plus favorables à la succession dynastique à laquelle songeait Moubarak. Il paraît d’ores et déjà certain que ni Moubarak ni son fils ne pourront se présenter aux élections présidentielles de septembre. Moubarak pourra-t-il rester au pouvoir jusque-là ? Tout dépendra de l’armée. Cette dernière pour l’instant ne demande pas son départ mais n’a pas non plus décidé de réprimer dans le sang le mouvement populaire. Elle peut très bien demander à Moubarak de s’effacer pour conserver le pouvoir et une certaine stabilité. Il faudra cependant si l’on veut éviter la fin de cet épisode politique par une forte répression, que de réels changements soient mis en place et soient perçus comme tels par la population
Mais la principale différence entre l’Égypte et la Tunisie tient à la situation géopolitique. La Tunisie était dans une zone calme géopolitiquement, surtout depuis que la Libye avait renoncé à exporter la révolution. L’Égypte est, elle, dans une zone particulièrement sensible. C’est pour cela que les États-Unis ont sur le dossier égyptien un autre regard que sur le dossier tunisien. Moubarak et l’un de leurs fidèles alliés mais à partir du moment où celui-ci apparaît comme un facteur de fragilité et non pas de stabilité, ils ne le défendront pas. Les Américains sont gênés aux entournures, coincés par leurs appels à l’ouverture démocratique et la peur de voir un régime ami être renversé. Une solution de transition en douceur grâce à une prise de pouvoir par l’armée leur conviendrait. Israël est très inquiet ; les dirigeants israéliens apprécient Moubarak, partageant leur peur de l’Iran et du Hamas. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que le blocus de Gaza n’est pas un blocus israélien mais un blocus égypto-israélien. Pour Israël, tout changement ne peut être que négatif. Ils savent qu’ils perdront au change et qu’il est peu probable qu’ils trouvent un nouveau dirigeant aussi conciliant à leur égard que Moubarak.

Quant à une relève par Mohammed El-Baradei, il a une légitimité internationale, la stature historique de l’homme qui s’est opposé à la guerre d’Irak et a pour cela reçu le prix Nobel de la paix. Encore faut-il qu’il trouve la motivation pour aller à la conquête du pouvoir et renoue un lien distendu par son absence avec le peuple égyptien.
 


 

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