05.12.2024
Fourest et les complotistes : posons les bonnes questions sur la manipulation de l’info
Édito
11 février 2013
Pas grand-chose de neuf
Le battage quasi hollywoodien n’a pas suscité l’entrain du public. 1,9% d’audience pour le premier documentaire consacré au "obsédés du complot". Il n’a pas non plus suscité l’adhésion. À un sondage sur le site de France 5 demandant au public si l’enquête de Caroline Fourest paraissait crédible, 4,4% ont répondu "oui", contre 95,6% ayant répondu par la négative. Sans doute le résultat d’un complot.
Le documentaire n’apportait pas grand-chose de neuf. Thierry Meyssan, ReOpen, tout ça c’est quand même passablement du réchauffé. La méthode de Caroline Fourest consiste à prendre un fait condamnable ou gênant et de lui donner une importance sans commune mesure avec sa réalité, en évitant toute mise en perspective et contextualisation. Elle grossit un danger et se pose en héroïne déterminée à le combattre.
Que quelques farfelus s’agitent sur la toile pour dénoncer d’improbables complots, est-ce bien le plus grand danger qui pèse sur l’information du public ? Quel est leur impact réel sur l’opinion ? Il ne faut pas confondre l’intention de nuire et la capacité à le faire.
Les manipulations de l’information ne sont pas réservées aux complotistes
Fourest dénonce les effets sans réfléchir sur les causes. Les théories du complot sont ineptes mais pourquoi prospèrent elles sur le net ?
Déjà parce que, justement, elles n’ont pas accès aux médias centraux. Elles sont la contrepartie des multiples manipulations de l’information de la part des gouvernements, des services, des officines. Cette guerre de propagande est bien plus grave pour l’information du public, vu les moyens dont ils disposent, que quelques complotistes égarés. Ce sont ces mensonges et manipulation de l’information (du type "on fait la guerre contre l’Irak parce que celui-ci possède des armes de destruction massive", etc.) qui suscitent l’intérêt pour les thèses complotistes. Si certains naïfs gobent encore tout ce qu’on leur raconte (et une fois encore les propagandes gouvernementales ou des puissances d’argent sont bien plus fortes), certains exercent leur sens critique et d’autres refusent tout ce qui est officiel et sont du coup des clients potentiels pour les complotistes.
France télévisions, qui a dépensé si cher pour les documentaires de Fourest et leur promotion, n’a toujours pas acheté "Les nouveaux chiens de garde", qui dénonce les connivences médiatiques, ou "Inside job", qui dénonce les véritables responsables de la crise financière.
C’est la connivence des élites qui suscite populisme et théories du complot. Dénoncer les théoriciens du complot qui crient haro sur les médias permet de faire l’économie d’une véritable réflexion sur le système médiatique. N’aurait-il pas été intéressant de réfléchir au storytelling des différentes puissances ?
Ne pas discréditer les jugements critiques pour autant
Affirmer que la guerre en Libye était prévue depuis 10 ans ou que le Printemps arabe a été suscité par la CIA est stupide. Mais dire que les États-Unis ont pour stratégie de contrôler le Proche-Orient est simplement une réalité stratégique, avouée très franchement par les néoconservateurs, et qui est de l’ordre naturel d’une politique de puissance pour les États-Unis.
Dire qu’il y a un complot américano-sioniste est une ineptie. Mais réfléchir aux effets de l’alliance américano-israélienne ne doit pas être interdit. Et c’est là que le bât blesse, parce que la théorie du complot dénoncée par Fourest est toujours centrée contre ceux qui mettent en cause les politiques américaine et israélienne.
S’il faut dénoncer les complotistes, il convient de ne pas faire d’amalgame avec tous ceux qui émettent un jugement critique sur ces politiques. Certains analystes vont même jusqu’à penser que certains complotistes sont en fait manipulés afin de discréditer les jugements critiques. Un complot dans le complot ? L’hypothèse aurait au moins pu être envisagée. Il y a d’ailleurs une théorie du complot sur laquelle Fourest ne réfléchit pas, c’est celle qui accuse Charles Enderlin d’avoir mis en scène la mort du petit Mohamed Al Durah, qui serait toujours vivant. Vu l’impact de cette polémique, on s’étonne que Caroline Fourest ne s’y soit pas attardée.
Qui voit des complots partout ?
Dans son documentaire, elle fait témoigner Rudy Reichstadt, présenté comme animateur du site Conspiracy Watch. Il n’aurait pas été inutile pour l’information du public de préciser qu’il est également collaborateur à la revue "ProChoix" que dirige Caroline Fourest. Par ailleurs, un rapide coup d’œil sur le site de Conspiracy Watch confirme que ce site est principalement consacré à la dénonciation des critiques de la politique israélienne.
Caroline Fourest dit vouloir protéger le vivre-ensemble alors qu’elle n’a pas cessé de stigmatiser les musulmans, criant au complot islamiste qui soumettrait la France et traitant de pro-islamistes ceux qui ne partageraient pas ses vues. Elle qui dénonce la théorie du complot fustigeait récemment les réseaux "indigéno-ramadano-bonifaciens" qui comploteraient contre elle. J’ai croisé une fois Tariq Ramadan et n’ai pas été en contact avec lui depuis. Mais il est vrai que je trouve normal qu’il puisse s’exprimer. Les Indigènes de la République sont, à mes yeux, trop radicaux, mais ils ont droit à la parole et je trouve anormal que l’agression dont a été victime Houria Bouteldja, la présidente, ait donné lieu à un black-out médiatique. Cela crée-t-il un "réseau" ? Qui voit des complots partout ?