L'édito de Pascal Boniface

François Hollande et le football : des rapports ambigus ?

Édito
4 novembre 2016
Le point de vue de Pascal Boniface
Le 11 novembre 2016 aura lieu au stade de France un match qualificatif pour la Coupe du monde 2018 : France/Suède. Il se tiendra presque an jour pour jour après les attentats qui ont meurtri la France, dont l’un eut précisément lieu en ce stade. Le président de la République va-t-il assister à la rencontre ?

François Hollande est un passionné et un fin connaisseur du ballon rond. Il était déjà un fidèle soutien des bleus avant d’être élu président de la République. Mais les révélations du livre « Un président ne devrait pas dire ça… »[1] sont venus troubler profondément ses relations avec le monde du football. Le président y tient des propos peu amènes sur les footballeurs, requalifiés d’enfants gâtés ayant besoin de muscler leurs cerveaux. Si les propos remontent à 2012, il n’en est pas moins troublant de voir le président rejoindre la cohorte de ceux qui ont des préjugés négatifs sur les footballeurs. Comme si les dérapages de quelques-uns concernaient la totalité. Les leaders politiques dans leur ensemble auraient-ils un comportement plus vertueux que les sportifs ? N’y-a-t-il pas non plus des dérapages chez les artistes ? Mais, une fois encore, les amalgames sont plus faciles sur les sportifs en général, et les footballeurs en particulier, qui, par leur visibilité, constituent des cibles faciles et n’ont dans la réalité aucun pouvoir de rétorsion. Et François Hollande a ainsi abondé dans le sens d’un mépris traditionnel des élites françaises à l’égard des sportifs.

L’écart entre son comportement durant le quinquennat et ses propos est pour le moins paradoxal : on peut lui reprocher son manque de sincérité alors qu’il prétend jouer la transparence. Si les footeux sont peu estimables, pourquoi dès lors avoir été aussi assidu auprès des bleus ? François Hollande a assisté à chaque match de l’Euro 2016, est allé rendre visite aux joueurs à Clairefontaine-en-Yvelines au début et reçu les joueurs à l’Élysée à la fin de la compétition. Son jugement n’est-il pas sévère pour Laurent Koscielny qui a investi 600 000 € – sans le claironner – pour sauver une usine de son département ? Pourquoi avoir insisté pour que Blaise Matuidi l’accompagne lors d’un déplacement en Angola ? Il est notable que le président se soit excusé auprès des magistrats pour des propos négatifs qu’il a tenus à leur égard mais qu’il n’est pas jugé nécessaire de le faire pour les footballeurs. Un « deux poids, deux mesures » dû, peut-être, à une supposée capacité de réaction des uns que n’auraient pas les autres. Y-aurait-il une profession à ménager plus qu’une autre ?

Mais il y a dans le livre une autre révélation également gênante. Le président a appelé l’émir du Qatar pour que la chaîne qatarie BeIN sports ne vienne pas gêner Canal + lors de l’attribution des droits opérés par la Ligue de football professionnel. Une sorte de Yalta aurait été établie entre les deux chaînes. Canal + se plaignait de la concurrence de BeIN sports et soulignait son rôle dans le financement du cinéma français, qui aurait été compromis si BeIN Sports marchait trop sur ses plates-bandes. En effet, lors de la vente des droits pour la période 2016-2020, malgré une concurrence apparemment féroce entre les deux diffuseurs, BeIN sports n’a pas voulu renchérir sur les offres de Canal +. Si le football français a obtenu 726 millions d’euros, une concurrence réelle aurait pu ajouter 100 à 150 millions de plus, renforçant ainsi la compétitivité européenne des clubs français, déjà pénalisés par une fiscalité et des charges sociales importantes. Les Allemands, Italiens et Espagnols risquent de dépasser les Français en termes de droits télévisuels, qui le sont déjà depuis longtemps par les Anglais. Ce qui s’est passé, c’est donc tout simplement une entente qui peut être considérée comme une entrave à la concurrence. Le Qatar n’a pas voulu donner l’impression de vouloir tout rafler et s’est rendu aux arguments de François Hollande.

Mais, là encore, on voit que le lobbying en faveur de la culture est toujours plus facile que celui en faveur du sport. Cette révélation a contribué à la critique de François Hollande, mais n’a pas déclenché de tollé sur le mauvais traitement du football. Imaginons qu’on ait soustrait 150 millions d’euros au financement du cinéma ; cela aurait été une bronca nationale. Le lobby culturel est sans aucune mesure bien plus puissant que celui du sport. Les autorités sportives n’ont pas violemment protesté contre ce manque à gagner plus que conséquent, tout simplement parce que, malgré sa puissance, le monde du sport est légitimiste. Fort de millions de pratiquants et de bénévoles, il ose à peine faire entendre sa voix. Le milieu culturel, lui, n’hésite pas à monter au créneau et à protester vigoureusement pour faire entendre ses revendications. Il y a pourtant également dans ce milieu des excès, des salaires mirobolants et du gaspillage. Et beaucoup de « navets » financés grâce à des aides publiques. Le budget de la culture est sanctuarisé contrairement à celui du sport. Le monde culturel trouverait insultant d’être financé par un jeu de hasard. Le mouvement sportif craint toujours de perdre la part du prélèvement sur les paris de la Française des jeux qui le finance. Peut-être, autant que des propos péjoratifs sur les footballeurs, ce choix de fausser la concurrence et de priver le sport de financements qu’il aurait dû normalement avoir, montre qu’inconsciemment, dans l’esprit des élites françaises – même « normales » – les préjugés ont la vie dure. On aime se faire prendre en photo avec les sportifs quand ceux-ci sont performants, mais il est moins naturel d’aider le sport. Ce dernier n’est finalement pas une priorité.

[1] DAVET (Gérard), LHOMME (Fabrice), Un président ne devrait pas dire ça…, Stock, 2016, 672 pp.
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