05.12.2024
Pourquoi Xi Jinping fait-il plus peur que Mao ?
Édito
28 mai 2020
Dans les années 1960, Mao était à la tête d’un État totalitaire. Il menaçait les États-Unis d’une guerre nucléaire, insultait les Soviétiques qu’il accusait de révisionnisme et prévoyait de mener une Révolution à l’échelle mondiale pour libérer les peuples occidentaux. Les droits des Chinois étaient fortement restreints, en réalité inexistants. Dans leur vie privée comme dans la vie publique, le parti communiste décidait de tout. Lecture obligatoire du Petit livre rouge, accès à l’information limité à la lecture du journal le Quotidien du Peuple ; de l’âge du mariage, des pièces de théâtre réduites au rôle d’outil de propagande, jusqu’aux vêtements portés par les Chinois, le pouvoir contrôlait absolument tout. Et la population connaissait des épisodes de famine, comme lors du Grand Bond en avant à la fin des années 1950 – période au cours de laquelle Mao souhaitait donner un nouveau souffle à l’économie chinoise, et qui fut un fiasco – quand 30 millions de Chinois perdirent la vie. Pourtant, à cette époque, la Chine n’effrayait pas le monde, on la regardait même de haut, et, au sein du monde occidental, des milliers de personnes brandissaient le Petit Livre rouge, séduits par l’idéologie maoïste.
Aujourd’hui, la situation des Chinois s’est nettement améliorée : le PIB par habitant atteint 10 000 dollars, chaque année 130 millions de Chinois partent en voyage à l’étranger et rentrent ensuite au pays – contrairement à l’époque de Mao. 800 millions d’entre eux ont accès à internet qui, bien que censuré, leur garantit un accès à l’information. Nombre d’entre eux se sont d’ailleurs récemment exprimés sur les réseaux sociaux pour dénoncer le sort réservé aux lanceurs d’alerte concernant la pandémie de Covid-19 ou ont critiqué la gestion de la crise sanitaire par le pouvoir. La Chine est aujourd’hui un régime autoritaire, mais elle a perdu son caractère totalitaire. Néanmoins, alors que dans les années 1960, des milliers d’Occidentaux soutenaient Mao Zedong malgré son régime dictatorial, aujourd’hui, le gouvernement chinois est critiqué de toute part et apparait comme une menace.
Dans les années 1970, lorsque Jean Yanne réalisa son film Les Chinois à Paris, on riait de la menace d’une invasion chinoise, aujourd’hui on est presque effrayé à l’idée que les Chinois imposent leur régime. Pourtant, que ce soit en termes d’accès à l’information ou de liberté, est-il réellement mieux d’être chinois sous Mao plutôt que sous Xi Jinping ? Comme l’explique Kishore Mahbubani dans son livre Has China won ?, les Chinois n’ont jamais été aussi heureux que depuis les trente dernières années. Cette vision semble toutefois peu partagée en Occident, et la crise du Covid-19 n’a fait qu’accentuer l’image de la menace chinoise. Mais alors, comment expliquer que, paradoxalement, des milliers d’Occidentaux se soient réclamés de la Chine de Mao et voient aujourd’hui dans la Chine de Xi Jinping une menace majeure ?
En réalité, la Chine de Mao n’était qu’un tigre de papier. Bien qu’elle fut déjà le pays le plus peuplé au monde, la Chine – et son armée – étaient trop faibles pour mettre à exécution les menaces du dictateur. Il ne faut cependant pas oublier que c’est Mao qui a choisi d’envoyer ses soldats en Corée face à l’armée américaine, incontestablement plus puissante.
Lorsque la Chine est entrée à l’OMC en 2001, son PIB était dix fois inférieur au PIB des États-Unis, aujourd’hui il représente plus de 60% du PIB américain. C’est cet effet de rattrapage qui alarme les Américains et plus généralement les Occidentaux. Face à la montée en puissance de Pékin, Washington craint, et refuse, de perdre sa suprématie mondiale. Mais cette lutte pour le leadership sur la scène internationale n’est pas celle des Européens. Ces derniers ne doivent pas servir de lieutenants des États-Unis dans ce duel face à la Chine. Ils doivent, tout comme le fait Pékin, défendre leurs intérêts, notamment en termes économiques et commerciaux.
Aujourd’hui, la Chine n’a plus l’ambition d’exporter le régime communiste à l’échelle internationale, comme le faisaient l’URSS et, dans une certaine mesure le régime maoïste. Elle ne fait en fait que défendre ses intérêts. D’ailleurs, ses dirigeants sont davantage inspirés par la civilisation chinoise que par le marxisme-léninisme et ce ne sont plus les principes maoïstes qui réunissent les 90 millions de membres du parti communiste, mais bien le succès économique et stratégique du pays. Il n’est pas question de nier le caractère autoritaire du régime chinois, mais il existe d’autres régimes dans le monde qui sont autoritaires sans être communistes. L’erreur est justement de traiter la Chine comme une menace existentielle voulant imposer le communisme à l’échelle mondiale. Mener un combat contre une puissance communiste, comme ce fut le cas face à l’URSS, n’est plus d’actualité.
La Chine est aujourd’hui un rival qui s’est considérablement développé. Il revient d’analyser judicieusement la situation et de défendre nos intérêts. D’un côté, la Chine peut parfois être un partenaire. Au fond, ce n’est pas elle qui a condamné la BNP à 9 milliards de dollars d’amende, ce n’est pas elle qui a une législation extraterritoriale, mais bien les États-Unis. D’un autre, elle est une puissance rivale. Il faut analyser avec rationalité et réalisme nos intérêts vis-à-vis du pays sans l’accuser à outrance d’être une dictature communiste régie par les principes du marxisme-léninisme, car ce ne sont plus eux les moteurs du développement chinois.