L'édito de Pascal Boniface

« Atlas de l’influence française au XXIe siècle » sous la direction de Michel Foucher[1]

Édito
9 octobre 2013
Le point de vue de Pascal Boniface

Le déclin de la France, voire son déclassement est un sujet récurrent de débat en France. Le déclinisme, pourrait-on dire, est en constante extension. Le géographe Michel Foucher y répond à sa manière – textes et cartes à l’appui – pour montrer au contraire l’atout de la France, dans un livre dont les bonnes feuilles avaient été distribuées à l’occasion de la dernière conférence des ambassadeurs. Fruit d’un travail collectif, il apporte une réponse à la fois documentée et optimiste aux thèses déclinistes.


1/ Comment expliquer le succès des thèses déclinistes en France ?


Les premiers textes explicitement déclinistes datent de 2003, émis par des tenants d’un libéralisme accru aligné sur le libéralisme anglo-saxon, même si la critique des blocages des corporatismes français était justifiée.


Je pointe également l’effet de la posture hégémonique dans le champ intellectuel d’historiens qui entretiennent la perception permanente d’un « malaise français ». Il faut aussi pointer la stratégie discursive du Front national qui tente d’imposer la représentation d’une France qui se déconstruit dans l’Europe et l’adaptation au monde réel. Trop de mémoire et de nostalgie, pas assez de géographie et de projection vers l’extérieur.
 


Mais il est vrai que les Français, d’abord pour des raisons linguistiques, ont du mal (sauf les 2,5 millions d’expatriés) à se projeter dans un vaste monde qui parle d‘autres langues, pour tirer parti des opportunités qui s’offrent. Et que, en raison des règles du système scolaire, n’être pas numéro 1 est vécu comme une déchéance.
 


Nous avons plus un problème d’image (faute d’être assez prescripteur en art ou en « benchmarking » universitaire) que d’influence. En contrepoids, je montre, cartes à l’appui, le rôle majeur des urbanistes et des architectes, des agronomes et des développeurs, des médecins et des chercheurs, artistes et chercheurs, dans ce monde en chantier. En avril dernier, François Hollande a inauguré le 32° Institut Pasteur, à Shanghai. La suite d’une présence au monde qui a débuté en 1891. Où est le déclin ?


2/ Vous distinguez pour la France l’influence qui ne serait pas l’équivalent du soft power américain, ou se situe la différence ?
 


L’expression « soft power » est intraduisible en langue française. Peut-on parler de la Russie ou même de la Chine comme exerçant une « puissance douce ». Le succès de la thèse de Joseph Nye tient à la stratégie de la première présidence Obama, dont l’un des objectifs était de restaurer l’image dégradée des Etats-Unis à l’extérieur, ce qui devenait un handicap dans le projet d’exercice du leadership. D’où les discours, bienvenus, d’Accra ou du Caire. Laissons donc ce concept américain à leurs usagers et à leurs admirateurs, Chine en tête.

 
Je montre dans l’Atlas que l’influence comme politique est déployée en réponse à des défis essentiels (l’influence figure dans le premier paragraphe du bulletin portant création de l’Alliance française en 1883 après la défaite de Sedan ; discours de De Gaulle en octobre 1943 à Alger où la culture est définie comme l’un des deux môles de la résistance, avec la lutte armée, en 1962 encore pour assumer la bifurcation postcoloniale, choix mitterrandien de l’engagement européen, réaffirmation de la capacité française d’initiative avec François Hollande et Laurent Fabius.
 


L’influence « à la française » désigne une capacité à produire des idées qui intéressent les autres et à les mettre en application. C’est aussi, comme les attentes de bien d’autres Etats nous l’indiquent, une aptitude à mobiliser un esprit critique au service de l’intérêt général et de se déployer contre le cours des choses lorsque celui-ci se dévoie. La France, c’est beau, c’est loin mais c’est l’alternative, nous a-t-on dit en Indonésie ! Restions capables d’offrir autre chose que la banalisation occidentalo-globale.
 
 


3/ Vous évoquez pour la France le terme de puissance d’initiative, notamment au Conseil de sécurité de l’ONU, que signifie ce concept?
 


Membre du Conseil de sécurité, la France est à l’origine de 155 résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies entre 2002 et 2012, sur des pays aussi divers que la Côte d’Ivoire, le RDC, le Liban, le Burundi, le Mali, la Libye, la région des Grands lacs, la Guinée, l’Iran, le Rwanda, la Syrie ou le terrorisme et la prolifération. Elle n’a fait usage de son droit de veto que 18 fois depuis 1946. Et avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, le P3, elle a rédigé 90% des résolutions. Le Conseil de sécurité, qui doit s’élargir à des nouvelles puissances dès lors qu’elles s’accorderaient sur le nouveau format, est clairement un espace public international d’influence française, comme l’a montré la rencontre entre Hollande et Rohani, toute première étape d’un long processus de normalisation diplomatique. La France, une des inspiratrices du système et du droit internationaux, fait référence. Ses 7 Prix Nobel de la Paix (1901, 1920, 1926, 1927, 1951, 1968, 1999) en témoignent.


[1] Editions Robert Laffont / Institut français, octobre 2013, 180 p.
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