L'édito de Pascal Boniface

Les Russes se mettent au soft power

Édito
13 septembre 2010
Le point de vue de Pascal Boniface

« Nous avons un déficit du Soft Power pour avoir trop privilégié le Hard Power. » Cette annonce d’un haut responsable russe au cours du Global Policy Forum de Yaroslavl qui s’est tenu les 9 et 10 septembre de cette année dans une ville qui célébrait son millième anniversaire de façon éblouissante, montre que l’état d’esprit a changé à Moscou. Les dirigeants russes sont bien décidés à combler ce déficit après avoir passé la première décennie du millénaire à combler leur retard économique.

Le Global Policy Forum, dont c’était la 2ème édition, a réuni dans cette ville située à 250 km de Moscou, plus de 400 experts et responsables politiques pour des conférences et des débats intensifs sur la démocratie, l’État de droit et la sécurité. L’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, l’ancien premier ministre japonais Yukio Hatoyama, le premier ministre italien Silvio Berlusconi, ainsi que le président coréen Lee Myung-bak, étaient parmi les invités vedettes d’un événement dont le maître d’œuvre était le président russe Medvedev. Le forum de Yaroslavl fait écho à celui de Valdaï, organisé depuis plusieurs années par l’actuel Premier ministre, Vladimir Poutine. Certains y verront une forme de concurrence entre les deux leaders russes. Mais, au-delà de cela, ce qui est frappant, ce sont les moyens que la Russie met en oeuvre pour peser sur le débat d’idées international et créer des rendez-vous incontournables sur les questions stratégiques au niveau mondial.

Si le nombre d’interventions formelles a été plus important que les échanges informels, les débats ont été contradictoires et très libres. Aux Occidentaux qui soulignaient que l’OTAN n’avait pas d’ennemis et que l’adhésion à cette organisation était basée sur un système de valeurs, les interlocuteurs russes ont répliqué qu’ils voyaient mal alors pourquoi on ne voulait pas que la Russie en fasse partie. Ils se sont néanmoins félicités du changement de climat après l’arrivée d’Obama au pouvoir, indiquant que les risques de nouvelle guerre froide, très forts en 2008, n’existaient plus. Sur la question du désarmement de l’élargissement de l’OTAN, un climat nouveau s’était installé. Ils ont fait remarquer que les changements politiques récents en Ukraine et en Kirghizie (avec le retour de gouvernements pro-russes), auraient sans doute créé une crise majeure entre la Russie et les États-Unis s’ils étaient survenus sous l’ère Bush.

Alors que Berlusconi a pour le moins manqué d’être convaincant en disant avoir développé la démocratie en Italie en augmentant la liberté d’entreprise et en s’attaquant à la dictature des juges, et a fait sourire en s’attribuant le mérite de la signature d’un accord de désarmement nucléaire russo-américain ou encore l’amélioration des relations entre la Russie et l’Europe. Medvedev a utilisé un ton juste – ni triomphaliste, ni sur la défensive -, s’exprimant avec franchise et aisance.

La Russie qui avait déjà fait un retour en force sur la scène internationale depuis quelques années se met donc a son tour à l’exercice de la diplomatie d’influence. Les Russes savent qu’ils ont en ce domaine encore du chemin à faire, du moins ont-ils diagnostiqué avec pertinence leur retard et ils ont la ferme volonté de le réduire le plus fortement et le plus rapidement possible.

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