05.12.2024
« La voix de son maître ?»
Édito
29 mars 2012
1) Vous montrez dans votre livre que le pouvoir politique s’est toujours intéressé de près à France Inter, qu’est-ce qui distingue la période Pierrefitte avec un ministre de l’Information très intrusif et l’époque actuelle ?
Plusieurs choses :
– L’environnement est plus libre: on est passé d’un monopole public sur l’audiovisuel à un paysage beaucoup plus diversifié, où le secteur public est minoritaire. L’arrivée d’Internet a aussi bouleversé la donne, en offrant un écho à la parole du public, voire des salariés de la radio ;
– À l’époque, les auditeurs et téléspectateurs étaient représentés au Conseil d’administration de l’ORTF; ce n’est plus le cas aujourd’hui. Sur ce point, l’époque est donc moins transparente ;
– En rétablissant la nomination directe presque 30 ans après son abolition, Nicolas Sarkozy a rétabli des conditions de pression idéales : on voit mal des personnes qui lui doivent leur poste aller contre sa volonté. À ce titre, l’exemple de la note pour parler de "reconduite à la frontière" plutôt que "d’expulsions" est édifiant, à mon avis, même s’il est impossible de confirmer le lien de cause à effet avec les tensions entre France Inter et le cabinet du ministre Eric Besson dans le passé récent.
2) Vous êtes très critique sur la nomination directe par le président de la République des patrons de chaines. Faut-il la supprimer et par quoi la remplacer?
Même si ce n’est pas mon rôle en tant que journaliste de prendre parti sur cette question, ce que je ne fais donc pas dans mon livre, à mon sens, oui, il faut certainement la supprimer. Le meilleur système serait celui d’un "trust" indépendant du pouvoir comme pour la BBC au Royaume-Uni. Au minimum, une nomination "par proxy" comme auparavant avec le CSA permettrait d’avoir à nouveau une "soupape de décompression" entre le gouvernement et Radio France (France Télévisions aussi d’ailleurs), car ce système n’était pas si hypocrite que le dénonçait Nicolas Sarkozy : on le voit bien dans le changement d’attitude de Jean-Paul Cluzel, qui voulait être reconduit dans ses fonctions, après la réforme Sarkozy.
3) Val est critiqué de toute part (censure, copinage, incompétence) et pourtant jamais les audiences n’ont été aussi bonnes. Comment l’expliquer?
Parce que, malgré tout, les équipes de France Inter restent constituées de grands professionnels qui font du bon travail. Je pense aussi que France Inter bénéficie de l’apport de l’adjointe de Philippe Val, Laurence Bloch, qui est, elle, une professionnelle expérimentée de la radio.
4) Avez-vous été invité sur France inter pour parler de votre livre? Comment les autres médias ont réagi? Y a-t-il la crainte de se faire mal voir par Inter ou Radio France?
Non, je n’ai pas été invité sur France Inter. J’ai en revanche participé à l’émission « Soft Power » sur France Culture. Télérama n’a cité mon livre qu’en passant, dans le cadre d’un dossier extrêmement complaisant sur Philippe Val. Des journalistes de médias importants n’ont jamais parlé de mon livre alors qu’ils m’avaient promis de le faire. Plus généralement, les médias se sont montrés plutôt mesurés, certains me reprochant d’avoir une majorité de sources anonymes sur la période contemporaine, alors que les mêmes journalistes savent pertinemment qu’il est impossible d’avoir des sources identifiées sur ce sujet, car le président de la République se trouve aujourd’hui tout en haut de leur hiérarchie. Je pense que cet accueil globalement tiède est dû à l’existence de partenariats avec le groupe et la radio, mais aussi à des relations de proximité entre des journalistes et ses dirigeants.
*Auteur de La voix de son maître ? France Inter et le pouvoir politique 1963-2012, Nova éditions, janvier 2012, 288 p.