L'édito de Pascal Boniface

Berlin, Paris, Varsovie et le Triangle de Weimar

Édito
26 septembre 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

Le Triangle de Weimar, créé en 1991 et réunissant la France, l’Allemagne et la Pologne avait trois objectifs initiaux :
Associer la France à la réconciliation germano-polonaise en s’inspirant de l’expérience franco-allemande ; renforcer le dialogue et la coopération politique entre les trois états et enfin soutenir la Pologne dans son processus d’intégration dans l’OTAN et dans l’Union Européenne.

Alors que l’on célèbre son 20e anniversaire, on peut dire qu’il a relativement bien fonctionné.

Il y avait pourtant des problèmes importants. Les disparités démographiques et, plus encore, économiques entre les trois partenaires étaient fortes. Mais il y avait surtout une différence d’appréciation sur une question fondamentale de sécurité : « la Russie est-elle un partenaire potentiel ou une véritable menace ? » Berlin, Varsovie et Paris n’ont pas la même histoire avec Moscou, qu’il s’agisse d’ailleurs de la Guerre Froide ou des périodes antérieures. De ces différences historiques fondamentales, il s’en est suivi une différence d’approche. La Pologne voit toujours la Russie comme une puissance agressive et menaçante, la France et l’Allemagne, déjà depuis l’ostpolitik et plus encore depuis la réunification, estiment que la Russie peut être un partenaire potentiel sur lequel on peut ponctuellement s’appuyer et coopérer pour renforcer ses positions.

20 ans après, ces différences historiques ne sont pas tout à fait effacées. Les perceptions stratégiques sont façonnées par le long cours et ne sont jamais le fruit d’un produit instantané. Mais on peut cependant décider d’accélérer l’histoire.

De la question de la nature de leurs relations avec Moscou découle celle des rapports avec les Etats-Unis. Pour la Pologne, les États-Unis sont le protecteur absolu face à Moscou, rôle dont elle pensait – et pense encore – incapables ses partenaires européens. La France et l’Allemagne voient désormais les États-Unis comme un allié dont ils n’ont plus besoin pour se protéger contre une menace soviétique disparue et avec lequel elles peuvent donc exprimer sans risque majeur des divergences. La France a adopté cette attitude depuis le début de la Ve république, pour l’Allemagne le tournant a été la réunification.

2003 a été l’apogée des dissensions entre les partenaires du Triangle de Weimar. La Pologne soutenait la guerre d’Irak plus par choix de fidélité à Washington que par évaluation de la situation stratégique au Proche-Orient, Paris et Berlin au contraire au nom d’une conception globale de la sécurité mondiale s’étaient opposés très vivement à cette guerre.

La période 2005-2010 (ère Kaczynski) a été marquée par les vives tensions russo-polonaises et par la poursuite du refroidissement entre la Pologne d’un côté, et l’Allemagne et la France de l’autre. Depuis 2010, les relations se sont améliorées. Les réunions du Triangle de Weimar ne sont plus des plates-formes de plaintes polonaises contre la Russie, mais un séminaire pour se concerter sur les politiques menées dans le domaine de la sécurité de l’énergie et de la politique extérieure. Il est vrai qu’entre-temps Obama a remplacé George Bush à la Maison-Blanche et que Medvedev a donné à la politique extérieure russe une tonalité vécue comme moins agressive que celle de Poutine.

La question est de savoir si ce rapprochement graduel des positions va se poursuivre, si l’on va poursuivre un cercle vertueux dans lequel les gestes d’ouverture envers la Russie (abandons de programmes antimissiles, refus de l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN) conduisent celle-ci à se décrisper et assainir la climat en Europe, ou si l’on va reprendre un cercle vicieux caractéristique des années Bush où la fermeté à l’égard de Moscou est vécue par celle-ci comme l’agressivité provoquant sa crispation qui entretient en retour la peur qu’elle suscite en Europe de l’Est.

Le Triangle de Weimar, peu connu du public, peut jouer un rôle non négligeable dans les contacts avec les pays à l’est de l’Union Européenne. Il doit surtout permettre un rapprochement des analyses stratégiques entre les trois pays membres, qui permettrait à la Pologne de jouer un rôle plus affirmé dans la politique européenne de sécurité et de défense.

À l’occasion du 20e anniversaire du Triangle de Weimar, le gouvernement polonais a organisé un colloque. Celui-ci était présidé par Wladyslaw Bartoszewski, 89 ans et toujours en pleine forme physique et intellectuelle.

Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas eu la vie facile. Né en 1922 à Varsovie, il est arrêté par les nazis en septembre 1940 et envoyé à Auschwitz-Birkenau. Il est libéré le 8 avril 1941 grâce à l’action de la Croix-Rouge polonaise et il entre dans la résistance en 1942. Il prend part à l’insurrection de Varsovie en aout 1944 et devient membre du Parti paysan polonais (parti d’opposition). Il est arrêté par les communistes en novembre 1946 pour « espionnage » et est écroué dans une prison du ministère de la Sûreté intérieure. Il est condamné à huit ans et sera libéré pour raisons de santé en 1954. Il se consacre alors au journalisme.

Après le changement de régime, il devient ambassadeur de la Pologne en Autriche (1990-1995) puis Ministre des Affaires étrangères (1995 et 2000-2001) et sénateur entre 1997 et 2001. Germanophone, il participe à la dynamisation du Triangle de Weimar. Il est également chargé, depuis 1991, de la présidence du Conseil international du Musée d’Auschwitz, qui assiste la direction du musée dans ses choix et décisions concernant les expositions, publications et relations avec l’extérieur. Chapeau Bas !
 


 

Tous les éditos