L'édito de Pascal Boniface

 L’Europe c’est nous, Questions à Edouard Gaudot et Benjamin Joyeux

Édito
2 mai 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
 Les deux auteurs, écologistes européens, croient dans le potentiel de progrès de l’Union européenne, à condition de s’en saisir pour modifier les orientations. Ils viennent de publier L’Europe c’est nous1, et ont accepté de répondre aux questions de Pascal Boniface.
1/ Vous vous élevez contre la thèse du déficit démocratique de l’Union européenne, argument souvent répété, pourquoi ?


Parce que nous refusons cette idée reçue, revenant en boucle dans la bouche de certains en France, que « Bruxelles », capitale de la Belgique et siège des institutions européennes (en partage avec Strasbourg et Luxembourg) serait responsable de tous nos maux en Europe : chômage des jeunes, désindustrialisation, destruction programmée des services publics, paupérisation accélérée de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, crise de l’Euro, etc.

En temps de crise, Bruxelles a mauvaise presse. Sauf que Bruxelles n’est pas un monstre froid désincarné existant en dehors des gens qui la composent. Bruxelles, ce sont des décideurs politiques qui décident et des fonctionnaires qui appliquent ces décisions, des politiques originaires des 28 Etats-membres (tous démocratiques), des chefs de gouvernements et des ministres, des eurodéputés, des commissaires choisis par les différents gouvernements, etc. Le problème n’est donc pas « Bruxelles » ou « l’Europe », mais des décisions concrètes prises par des dirigeants bien réels choisis lors d’élections démocratiques. Si cela ne nous convient pas, nous pouvons décider de changer de dirigeants lors d’échéances électorales démocratiques comme les prochaines élections européennes du 25 mai 2014.

Aujourd’hui, l’Union européenne abrite la première assemblée démocratique supranationale du monde. L’organe législatif européen se compose d’une part de députés démocratiquement élus dans leur pays respectifs (le Parlement européen) et d’autre part de chefs d’Etat et de gouvernements tous issus d’élections démocratiques régulières (le Conseil européen). En outre, le Parlement est devenu progressivement un acteur éminemment politique, pouvant, comme en 1999, provoquer la démission de la Commission en place.

Certes, la Commission ressemble plus à une administration qu’à un gouvernement, et la composition du Collège des Commissaires tient plus souvent du marchandage entre Etats que d’un processus démocratique. Mais, d’une part, beaucoup de gouvernements ou de Premiers ministres en Europe (France, Pologne ou Italie par exemple) sont désignés autrement que par une élection, et d’autre part, la Commission est directement responsable devant le Parlement européen, selon l’article 17 § 8 du TUE. Juridiquement, les institutions de l’Union européenne sont ainsi, dans leur ensemble, conformes aux grands principes du gouvernement démocratique moderne : représentativité et responsabilité. Le défaut de fonctionnement démocratique que l’on impute bien trop souvent à l’Union européenne est ainsi tout à fait transposable aux institutions de la plupart des Etats membres. Les dirigeants politiques nationaux tiennent une grande part de responsabilité dans cette perception en étant bien souvent enclins à masquer leurs propres échecs en rejetant la faute sur « l’Europe ».

2/ Vous estimez que trop souvent on attribue à l’Europe des décisions négatives alors qu’elles sont prises au niveau national. Parmi de nombreux exemples, si les dépenses de santé diminuent en Grèce suite au plan de sauvetage ce n’est pas sur demande de l’Union européenne mais parce que le gouvernement grec a choisi de faire cela plutôt que d’augmenter les impôts des armateurs.


En effet, l’UE prend également un certain nombre de décisions importantes et positives pour les citoyens dans la vie de tous les jours, mais bien souvent, quand c’est le cas, les dirigeants nationaux s’en attribuent opportunément la paternité. En gros, quand c’est mal, ça vient de Bruxelles, quand c’est bien, ça vient du national. Cette technique de dilution des responsabilités est insoutenable, et c’est aussi un des principaux buts de notre livre que de la dénoncer.

Quelques exemples de décisions positives venant de l’UE : une réglementation plus stricte sur les produits du quotidien en faveur des citoyens et de leur santé, comme pour le tabac, l’alimentation, les médicaments, etc. Ou encore tout nouveau bâtiment construit à partir de 2020 devra avoir une consommation énergétique quasi nulle, ce qui fera baisser considérablement les factures. Ça c’est grâce aux écologistes européens. Autre exemple, à partir de 2015, grâce à l’UE, il n’y aura plus de frais d’itinérance sur les portables quand on se rendra dans un autre pays européen, ou encore il n’y aura plus qu’un seul chargeur universel pour tous les types de produits électroniques. Il existe des milliers de décisions de ce type qui améliorent le quotidien des citoyens européens et qui sont hélas trop souvent méconnues.

Par ailleurs, l’Europe est loin de constituer le « gouffre financier » que l’on évoque parfois. Il faut 140 petits milliards d’euros par an pour faire fonctionner l’Union européenne et financer l’ensemble de ses politiques, de la politique agricole commune (PAC) aux fonds de cohésion, du fonds d’indemnisation de la mondialisation (pour les salariés victimes de délocalisations) aux banques alimentaires, etc. Tout cela ne représente qu’à peine 1 % du PIB de toute l’UE. A titre de comparaison, en France, le budget de l’État représente 18 % de la richesse nationale, et 23 % aux États-Unis, où il paraît pourtant que l’on n’aime pas beaucoup l’État. En outre, l’UE ne consacre que 6 % de son budget aux coûts administratifs et aux salaires des fonctionnaires. Cela en fait une des administrations les plus efficaces du monde. À titre de comparaison, les dépenses de fonctionnement représentaient 14,5 % du budget de l’État français en 2011. Donc l’UE, en termes de « qualité/prix », est plutôt très « compétitive », contrairement aux idées reçues.


3/ Vous voyez dans le secteur agricole un gisement de 10 millions d’emplois. Comment expliquer les difficultés de votre formation politique à faire globalement accepter ses thèses par le monde agricole ? Y a-t-il un divorce entre les Verts et le monde agricole ?


En effet, comme le dit José Bové, le seul domaine agricole représente un gisement potentiel de 10 millions d’emplois non délocalisables : la moyenne d’âge des 12 millions de paysans européens tourne autour de 55 ans. Dans les cinq prochaines années, donc, le simple renouvellement démographique de la paysannerie continentale pourrait représenter des millions d’emplois locaux, durables et non-délocablisables. Mais cela nécessiterait une autre réforme de la Politique Agricole Commune, en faveur des jeunes agriculteurs, qui fournisse des aides à l’installation dignes de ce nom et redistribue les fonds européens vers les agricultures les plus fragiles, au lieu d’arroser les céréaliers, les betteraviers, les grandes cultures industrielles… et la Reine d’Angleterre. Il n’y a pas de divorce entre les écologistes et le monde agricole. Simplement, en France par exemple, ce sont toujours les mêmes acteurs à qui l’on donne la parole, notamment la FNSEA, sorte d’Etat dans l’Etat qui fait la pluie et le beau temps dans le monde agricole, toujours en faveur des plus grosses infrastructures et d’un modèle productiviste pourtant en bout de course, tant en termes de pollution que de disparitions d’emplois.

Nous ne sommes pas contre les agriculteurs, bien au contraire. Nous voulons sauver le monde agricole en sauvant par ailleurs la qualité de ce que l’on met dans nos assiettes. Il faut pour cela revoir l’intégralité du modèle, et ça, beaucoup ne sont pas prêts encore à l’entendre. Mais ils seront bien obligés de s’y mettre étant donné l’augmentation de la demande d’une agriculture qui privilégie enfin la quantité sur la qualité de la part des consommateurs.

4/ Pour vous le principal danger est un accord de libre-échange Union européenne /États-Unis. Pourquoi ? Pensez-vous qu’il est encore possible d’y faire obstacle ?


Ce traité transatlantique (TTIP ou TAFTA) est négocié depuis des mois dans le plus grand secret entre l’UE et les Etats-Unis. Grâce à la mobilisation du mouvement social et de différents élus, dont des eurodéputés écologistes comme José Bové ou Yannick Jadot, il est désormais de moins en moins ignoré du grand public. Cet accord est dangereux à plus d’un titre, mais un des pricipaux dangers concerne le mécanisme privé de règlement des différends que les délégations en charge des négociations cherchent à imposer : derrière ce mécanisme se cache une menace fondamentale pour nos démocraties : demain des multinationales pourraient contester en justice des décisions prises par des Etats pour protéger leur populations ou l’environnement. On le voit déjà dans d’autres parties du monde, quand Philipp Morris attaque l’Australie pour ses restrictions sur le commerce de tabac, l’Allemagne est poursuivie pour sa sortie du nucléaire et Novartis et d’autres laboratoires pharmaceutiques harcèlent juridiquement l’Inde pour qu’elle cesse de produire et exporter des médicaments génériques. Cette procédure mettrait directement le pouvoir normatif entre les mains des acteurs privés, de part et d’autre de l’Atlantique… Ainsi, demain, des multinationales pourraient forcer le gouvernement français à signer les permis d’exploitation de gaz de schiste ou à accepter les OGM ou l’importation de boeuf aux hormones ou encore du poulet à la dioxine. Mais il est bien entendu toujours possible d’y faire obstacle. Tout comme nous avons réussi à stopper l’ACTA au Parlement européen, accord qui cherchait à imposer de nouvelles sanctions pénales et des mesures poussant les acteurs de l’Internet à « coopérer » dans l’intérêt des multinationales du NET plutôt que dans celui des internautes, nous arriverons à arrêter TAFTA. Pour cela, il faut que les écologistes, comme l’ensemble du mouvement social, continuent de se battre pour mettre ces négociations au grand jour afin de les rendre inacceptables pour tout le monde.


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1. L’Europe c’est nous, Ed Les petits matins, avril 2014
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