L'édito de Pascal Boniface

Autonomie stratégique européenne : haro sur Macron

Édito
18 avril 2023
Le point de vue de Pascal Boniface


Emmanuel Macron a déclenché une tempête diplomatique et médiatique après son séjour en Chine en évoquant l’autonomie stratégique européenne. Tout le monde ou presque lui est tombé dessus en disant que cette attitude était irresponsable et qu’il allait briser la nécessaire unité du monde occidental.

Pourtant, l’autonomie stratégique européenne n’est pas un concept nouveau. C’est un projet français ancien qui date du début de la Ve République.

Bien sûr, les atlantistes ou néoconservateurs sont contre l’autonomie stratégique européenne. Ils pensent qu’il faut rester étroitement liés aux États-Unis. Lorsque de Gaulle reconnaît la Chine en 1964, lorsque Mitterrand refuse la Strategic Defense Initiative – la « guerre des étoiles » – de Reagan, là aussi ce sont des tempêtes de prestation. En même temps, de Gaulle et Mitterrand ont été les plus forts soutiens des États-Unis dans les pires moments des crises de la Guerre froide, qu’il s’agisse de la crise de Cuba, du mur de Berlin, ou de la tempête des euromissiles. Car la politique française depuis la Ve République, c’est allié, mais non aligné.

D’autres disent que si Macron a peut-être raison, ce n’est cependant pas le bon moment. Du fait de la guerre en Ukraine, il y a une sorte de vent panique qui fait que les Européens pensent que seuls les États-Unis peuvent les protéger contre la menace militaire russe. Quand on est protégé par quelqu’un, on ne critique pas le protecteur. C’est une règle universelle.

On pourrait pourtant penser que la menace militaire russe n’est pas si grande que cela compte tenu des difficultés de l’armée russe en Ukraine. On pourrait aussi penser que l’autonomie ne s’oppose pas à l’alliance, mais à la dépendance, ce qui est différent. Mais ce n’est pas l’avis de la plupart des commentateurs.

Or, la véritable position réaliste est que l’on ne peut pas remettre les clés de notre sécurité à un pays étranger, et qu’il faut bâtir les conditions de notre indépendance. Surtout que l’on a vu dans la période récente que les États-Unis n’étaient pas tout à fait fiables, de la période Trump jusqu’à la débâcle de Kaboul. Et on ne peut pas dépendre du vote dans un swing state à quelques milliers d’électeurs près.

La nécessité de créer une autonomie européenne est donc indéniable. Alors pourquoi le dire maintenant ? Justement parce qu’elle est en danger. Il faut entretenir la flamme, car effectivement, la plupart des pays européens estiment que cette idée n’est pas aboutie, qu’elle est dangereuse. Ils l’opposent à l’alliance.

Là où Macron a tort, c’est lorsqu’il dit que la bataille idéologique est gagnée. Loin de là. Certes, dans le pays, les thèses de l’autonomie stratégique européenne sont majoritaires ; mais pas dans l’expertise, pas dans les médias qui sont plus accoutumés aux débats internes au monde occidental, et qui sont beaucoup plus atlantistes que la majorité des Français. Il y a en réalité une coupure en France entre l’opinion publique favorable à l’autonomie stratégique européenne, et l’expertise stratégique qui est beaucoup plus atlantiste. Au niveau européen, effectivement, la France est minoritaire, bien que pas tout à fait isolée. C’est pour cela qu’il faut continuer de défendre cette idée.

Macron a également parlé de l’extraterritorialité du dollar et de la législation américaine. C’est une réalité qui n’est pas acceptable : les Américains, lorsqu’ils nous sanctionnent parce qu’on n’a pas respecté les lois américaines – y compris et surtout en-dehors du territoire américain –, ne nous considèrent pas comme des alliés, mais comme des personnes qui doivent leur obéir.

Donc non, la bataille logique est loin d’être gagnée. Elle est en train de se dérouler, et il faut y participer activement.
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