L'édito de Pascal Boniface

Pourquoi le Brésil n’a pas suivi la France sur la Libye ?

Édito
23 mars 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

Les relations entre le Brésil et la France se sont développées, depuis une dizaine d’années, au point que l’on a pu évoquer un partenariat stratégique entre les deux pays. Entre une puissance occidentale mais indépendante au statut international établi (puissance nucléaire, conseil de sécurité, etc.) et une puissance du Sud émergente et progressiste faisant déjà figure de géant, il y avait des conceptions et des intérêts communs. La différence d’appréciation sur l’intervention en Libye entre le Brésil et la France a pu surprendre certains.

Au cours d’un séjour récent au Brésil, un haut responsable de la diplomatie brésilienne m’en a expliqué les raisons. Il y en a une d’ordre général, connue des spécialistes des relations internationales. Le Brésil est, par principe, hostile à l’ingérence, comme l’ensemble des pays du Sud. Les promoteurs du droit d’ingérence s’obstinent à présenter celui-ci comme étant uniquement refusé par les dictatures du sud, mais soutenu par l’ensemble des démocraties. La ligne de clivage sur ce concept ambigu n’est pas là, mais bien entre les pays du Nord et ceux du Sud. Ces derniers voient quasi unanimement dans le droit d’ingérence, le droit des puissances développées d’interférer dans les affaires intérieures des pays appartenant à ce que l’on appelait autrefois le tiers-monde. Ils sont donc viscéralement méfiants vis-à-vis de l’ingérence, et la voit plus comme le déguisement d’une politique de puissance traditionnelle, que comme résultant d’une motivation généreuse. On nous dit souvent que les pays non démocratiques comme la Russie et la Chine sont hostiles à l’ingérence. Il faut bien comprendre que le Brésil et l’Inde, dont personne ne remet en cause le caractère démocratique et qui sont pourtant des états puissants, le sont également.

Mais il y a d’autres raisons qui tiennent plus à une relative détérioration de la relation franco-brésilienne. Le Brésil a mal vécu le refus sec de la France du plan qu’il avait élaboré avec la Turquie à propos du nucléaire iranien. Ce plan a en fait été refusé par toutes les puissances nucléaires, mais le Brésil a ressenti plus douloureusement le refus français du fait de la qualité spécifique des liens entre les deux pays.

Il y a un autre épisode qui a irrité les Brésiliens, celui de la visite de Michelle Alliot-Marie à Brasilia, au moment même où Christine Lagarde se rendait en Tunisie. Ils se sont sentis instrumentalisés pour des questions de politique intérieure française. Les Brésiliens se tiennent informés, ils savaient fort bien que Michèle Alliot-Marie était une ministre en sursis. Ils ont compris qu’elle venait au Brésil pour masquer le fait qu’elle ne pouvait pas se rendre en Tunisie. Ils l’ont d’autant plus mal vécu que la France fut un des rares pays importants à n’être pas représenté par son ministre des Affaires étrangères lors de la cérémonie d’investiture de Dilma Roussef, le 25 décembre 2010. En effet, à cette époque, Michèle Alliot-Marie était en vacances… en Tunisie.
 


 

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