05.12.2024
France, Turquie, génocide arménien: l’Assemblée nationale contre l’intérêt national
Édito
23 décembre 2011
Ce texte pose de nombreux problèmes.
Est-ce au Parlement de légiférer sur l’Histoire ? Ce n’est pas vraiment dans la tradition démocratique. Ce sont plutôt les régimes autoritaires qui veulent imposer une Histoire officielle. Lorsque l’État dirige le travail des historiens ce n’est pas bon signe.
Le Parlement français est-il habilité à légiférer sur l’Histoire des autres pays ? Mais alors, pourquoi ne pas adopter une loi pénalisant la négation du génocide des amérindiens par l’empire espagnol ou des natifs américains par les Etats Unis ?
L’idée de faire l’Histoire est dangereuse politiquement. Faire celle des autres pays dénote un sentiment de supériorité qui n’est plus d’age à l’heure de la globalisation. « Ne faisons pas aux autres ce que nous n’aimerions pas qu’ils nous fassent » et « ne nous croyons pas supérieurs aux autres » sont des principes qui ont été bafoués. Nous donnons l’image déplorable d’un pays prompt à donner des leçons, à juger l’histoire des autres plus facilement que la sienne.
Si on souhaite que la Turquie se penche sur son histoire est-ce la meilleure méthode ? N’avons-nous pas au contraire créé une réaction de crispation et donner un coup de pouce aux ultra nationalistes et aux négationnistes ? Que ferons-nous par ailleurs si le Parlement turc adopte une loi pénalisant la négation du génocide vendéen ou des crimes de guerre de l’époque coloniale ? Nous serions scandalises !
La Turquie doit reconnaitre le génocide arménien. En le faisant, elle ne se diminuerait pas, elle se grandirait. Mais elle ne le fera pas sur l’injonction du Parlement français.
Les députés qui ont adopté ce texte l’ont fait pour satisfaire des associations arméniennes. Il est tout à fait normal que celles ci veulent développer le devoir de mémoire par rapport au génocide dont leurs ancêtres ont été victimes, mais cela ne passe pas par la loi.
En privilégiant leur intérêt électoral à court terme, les députés qui ont adopté ce texte ont méconnu l’intérêt national. La Turquie est un pays émergent. Une puissance montante avec laquelle nous avons des intérêts, non seulement économiques mais aussi et surtout politiques et stratégiques. Ils sont durablement atteints par ce vote. Affirmer comme le font certains que ce vote n’est pas un acte d’hostilité à la Turquie et que cela n’affectera pas les relations entre la Turquie et la France, est une insulte à l’intelligence.
La France se prive de marges de manœuvres internationales sans aider, bien au contraire, à la réconciliation entre la Turquie et l’Arménie à reconnaitre le génocide arménien. Et qu’on ne vienne pas dire que la morale a conduit à négliger l’intérêt et favoriser les principes et donc qu’elle justifie ce vote. Car ici, ce ne sont pas les principes qui ont été privilégies mais l’intérêt électoral, au détriment de l’intérêt national. Si demain l’électorat d’origine turc dépasse celui d’origine arménienne, les députés abrogeront-ils la loi ? Peut-on faire dépendre notre politique extérieure du poids des communautés qui fondent la France, et se plaindre après cela du communautarisme ?
Les évolutions stratégiques en cours ne sont pas naturellement favorables à la France. Sa place dans le monde est remise en cause. Si on veut la conserver, il faut agir avec encore plus d’intelligence qu’auparavant. Des hommes d’états sont comptables de l’intérêt national à long terme du pays. Des hommes politiques sont intéressés par leur réélection. Les seconds ont prévalu sur les premiers.
PS : Prévoyant à l’avance la réaction de certains de mes amis, je réaffirme préventivement, une fois encore, que dans ma célèbre note au PS de 2001 sur le conflit du Proche-Orient, je ne préconisais pas du PS d’adopter une attitude plus favorable à la Palestine « parce qu’il y a plus d’arabes que de juifs » comme veut le faire croire la campagne de désinformation à mon encontre, mais en fonction de principes universels. Je soulignais que ceux-ci devaient prévaloir sur le poids des communautés.