L'édito de Pascal Boniface

L’Orient mystérieux et autres fadaises, Questions à François Reynaert

Édito
4 novembre 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Chaque jeudi, de nombreux lecteurs du Nouvel Observateur ouvrent leur hebdomadaire préféré à la page de la chronique de François Reynaert, se délectant à l’avance des saillies humoristiques qui va leur donner le sourire. Mais si les talents comiques du journaliste sont indéniables, a l’instar d’autres personnes, il serait réducteur de ne le considérer que comme un « Monsieur petite blague ».

C’est un véritable historien, qui avait déjà séduit le public avec Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises 1 où de façon aussi plaisante qu’argumentée il revisitait l’histoire de France. Il revient cette année avec un livre extrêmement documenté L’Orient mystérieux et autres fadaises 2 . Ce livre magistral retrace 25 siècles d’histoire en 25 chapitres et remet de nombreuses pendules à l’heure. Si on veut comprendre les autres sans tomber dans l’angélisme, c’est un livre à lire absolument. 

Selon vous à l’origine, les punitions, y compris physiques, imposées aux voleurs dans le Coran constituent un progrès. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?


De façon générale, comme la plupart des grands textes religieux fondateurs d’ailleurs, le Coran va dans le sens de la pacification des relations entre les gens, de l’amélioration des rapports humains. C’est évident dans toutes les obligations sociales créées par le texte, le fait de devoir aider les pauvres, secourir les faibles, etc. Mais c’est marquant aussi au chapitre des punitions. Le Coran demande par exemple que l’on coupe la main des voleurs. Bien évidemment, cette peine apparait très cruelle, à nos yeux d’aujourd’hui. Les grands spécialistes du texte sacré nous expliquent pourtant qu’elle représentait un progrès, à l’époque du Prophète Mahomet, dans la mesure où elle permettait de mettre fin aux logiques infinies de vendetta qui préexistait. Dans la société pré islamique, quand un tel avait volé, il fallait se venger de lui et cette vengeance appelait une contre vengeance du clan offensé etc. Dès lors qu’on codifie, on arrête l’engrenage.
 

Ce constat a permis, depuis fort longtemps, de poser autrement la grande question de l’interprétation du texte. Pour le monde des intégristes – les salafistes, les wahabbites etc- ceux qui, comme le nom l’indique, pensent qu’il faut faire une lecture totale, littérale, « intégrale » du Coran, la charia doit être appliquée à la lettre, comme elle a été écrite. Mais il ne faut pas oublier que bien d’autres grands penseurs de l’Islam, depuis longtemps, jugent plus intéressant de s’en référer à la dynamique que nous venons de présenter. En ordonnant ces peines, le Prophète a permis de créer une société plus juste, moins barbare que celle qui préexistait. Pour être fidèle à son action, il ne faut pas le suivre à la lettre, mais il s’agit de suivre sa logique, en allant vers toujours plus de justice, et moins de barbarie.

Pourquoi parle-t-on d’occupation musulmane de l’Europe et pas d’occupation chrétienne de l’Amérique latine ?


Parce que comme toujours, l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Les Arabes – ou plutôt les Berbères, d’ailleurs- ont conquis l’Espagne au début du VIIIe siècle de l’ère commune en reléguant les chrétiens à de très petits royaumes, situés au pied des Pyrénées. A partir du XIe siècle, ces chrétiens sont devenus de plus en plus puissants, et réussissent peu à peu à grignoter le territoire d’Al Andalus (c’est à dire l’Espagne musulmane) aux musulmans. A partir de leur défaite de 1212 (bataille de Las Navas de Tolosa) ceux-ci sont relégués à leur tour au petit royaume de Grenade, puis chassés définitivement de la péninsule en 1492, par Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, les « rois catholiques ». C’est ce mécanisme que l’histoire appelle la « Reconquista », la reconquête, et ce mot seul est ambigu, puisqu’il nous force à penser que l’Espagne devait naturellement redevenir chrétienne. En quoi ce mécanisme est-il naturel ? On dira que l’Espagne, avant les Arabes, était chrétienne. C’est vrai. Le Maroc, la Tunisie ou l’Egypte aussi. D’ailleurs à l’époque, on considérait les choses ainsi. Durant le XVIe siècle, les rois du Portugal ont cherché à mettre la main sur le Maroc non pas pour en faire une colonie, comme on le fera plus tard, mais selon ce même principe de la « reconquête ».
 

Devenus vainqueurs, les chrétiens ont donc parlé d’ « occupation musulmane » de l’Espagne ce qui était une manière d’en souligner l’illégitimité. En quoi cette présence était-elle illégitime ? Avant les Arabes, l’Espagne avait été conquise par les Wisigoths, comme la Gaule par les Francs. Personne ne parle d’ « occupation wisigothe » de l’Espagne ou « d’occupation franque » de la Gaule. Personne ne parle non plus d’ « occupation chrétienne » de l’Amérique latine. Pourtant la conquête de celle-ci par les terribles conquistadores espagnols, a été bien plus violente et barbare que celle de l’Espagne par les armées arabo-berbères. 

Vous expliquez que la première croisade est partie d’un grand malentendu. Pouvez-vous nous en dire plus ?


Peuple originaire d’Asie centrale, les Turcs, au cours des siècles, se déplace vers l’ouest. Vers le XIe siècle, ils s’installent dans tout le Proche Orient. En 1071, un chef turc bat les troupes puissantes des Byzantins et leur prend une grande part de l’Asie mineure (la Turquie d’aujourd’hui) pour en faire le sultanat de Roum (le sultanat des Romains). Menacé par ces nouveaux ennemis, Alexis Comnène, l’empereur de Constantinople se résout à faire appel à ses vieux rivaux, les chrétiens de Rome, pour lui apporter un bref appui militaire. Malheureusement pour lui, le pape, chef de la chrétienté latine, a d’autres idées en tête. Au concile de Clermont, en 1095, il appelle tous les chrétiens à se ruer en masse en Orient pour répondre à la demande de l’empereur, mais surtout pour aller délivrer le tombeau du Christ, à Jérusalem. Alexis espérait quelques mercenaires. En 1097, il voit arriver avec horreur sous les murs de sa capitale des foules de pauvres gens fanatisés. Ce sont les premiers croisés.
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[1] Editions Fayard, 2010, 528 p.
[2] Editions Fayard, 2013, 432 p.
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