05.12.2024
Grâce à moi, la Coupe du monde 2022 au Qatar aura lieu en hiver
Édito
17 mai 2013
Du moins si j’en crois le livre de Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget qui vient de paraître, "Le vilain petit Qatar : cet ami qui nous veut du mal", aux éditions Fayard. Lorsque je suis arrivé à la page 153 de ce livre, je ne me sentis plus de joie.
Je ne suis pas l’ambassadeur des sports du Qatar
Comme vous le savez, la Coupe du monde 2022 aura lieu au Qatar. Le climat rend difficile de la jouer en été comme habituellement, il se pourrait qu’elle puisse avoir lieu en hiver. Cette inversion climatique n’a pas encore été tranchée par la Fédération internationale de football (FIFA). Les auteurs expliquent que ce serait scandaleux puisque totalement dérogatoire au droit de la FIFA, mais cela n’est pas impossible. Ils en tiennent la preuve.
Et là, c’est le scoop planétaire. Ils écrivent :
"Pascal Boniface ‘l’ambassadeur’ des sports du Qatar n’a-t-il pas rencontré Sepp Blatter le Crésus du foot mondial ?"
Ça vous en bouche un coin, pas vrai ?
Bon, maintenant qu’on a bien rigolé, voyons un peu les choses plus sérieusement. Cette phrase suffit à qualifier les méthodes des auteurs, pas vraiment sérieuses. On invente, on imagine, on fantasme, à la limite de la calomnie, mais on n’enquête pas.
Tout d’abord, suis-je l’ambassadeur des sports du Qatar ? Sous-entendu rémunéré, j’imagine… J’écris en effet beaucoup sur la géopolitique du sport et le Qatar a une diplomatie sportive extrêmement développée. Il est donc logique que j’écrive sur ce sujet.
En quoi cela fait-il de moi "l’ambassadeur sport" du Qatar ? Serais-je aussi l’ambassadeur du sport du Brésil, de la France, de la Russie, de la Chine, de Monaco etc. puisque j’ai aussi écrit sur leur diplomatie sportive ?
Oui, j’ai rencontré Sepp Blatter
Je n’ai (hélas) pas de contrat avec les instances sportives du Qatar. J’espère que le livre de Nicolas Beau et de Jacques-Marie Bourget a attiré leur attention et que cette fâcheuse faute sera comblée.
J’ai rencontré Sepp Blatter au cours d’un déjeuner organisé par l’ambassade de Suisse, lors d’un de ses déplacements à Paris, avec une cinquantaine de personnes. J’ai échangé quelques mots avec lui et, au cours du déjeuner-débat, lui ai posé des questions sur les risques de corruption dans le sport du fait des paris sportifs.
Donc écrire que j’ai en secret plaidé au nom du Qatar l’inversion du calendrier est une vaste rigolade, de surcroit assez malveillante.
Ce que semble ignorer nos auteurs par ailleurs, c’est que le Qatar n’est pas demandeur de l’inversion du calendrier, au contraire. Ce sont les instances sportives qui le demandent, notamment Michel Platini, président de l’UEFA.
Il y a certes l’argument selon lequel il est plus agréable de jouer en janvier qu’en juillet au Qatar, mais cela permettrait surtout de faire une trêve hivernale en Europe plutôt qu’une trêve estivale qui ne correspond plus au mode actuel des vacances. Il est bien plus désagréable d’aller au stade en Europe en janvier-février qu’en juillet-août, et Coupe du monde au Qatar ou non, la réflexion est lancée.
Un livre caricatural et entièrement à charge
Le reste du livre est à l’avenant. Il est truffé d’erreurs qu’on ne pardonnerait pas à un étudiant en 1ère année de journalisme.
On nous apprend que le Qatar a des relations diplomatiques avec Israël. Scoop ! Que le Qatar a acheté le FC Barcelone, ce qui fera plaisir aux dizaines de milliers de "Socios" qui sont les propriétaires éternels du club ; qu’il a chassé l’Unicef du maillot de Barcelone, oubliant de préciser que c’est le club qui a rompu avec la tradition de gratuité sur son maillot pour combler un déficit qui le mettait en danger, etc.
Les auteurs ont raison quand ils disent que toute critique du Qatar ne relève pas de l’islamophobie. Le sort des travailleurs immigrés, le poète condamné à 15 ans de prison, sont, entre autres, tout à fait critiquables. Mais, à l’inverse, faire porter le soupçon de corruption sur toute personne qui ne partage pas leur vues sur le Qatar n’est pas admissible.
Alors que les nombreux autres livres parus sur le Qatar mêlent critiques et compliments, le livre de Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget est caricatural et entièrement à charge. Si, dans leur conclusion, les auteurs disent que leur livre ne relève pas du "Qatar bashing", il serait difficile de trouver une seule phrase positive sur le pays dans les 292 pages du livre.
Dès la première page, les auteurs se demandent "comment la France en est arrivée à trembler quand le Qatar fronce les sourcils ?". Ils écrivent que le Qatar ne se donne pas moins que "l’ambition d’acheter l’univers", jugement peut-être excessif. Adoptant la théorie du complot, ils écrivent, toujours dès la première page, "ce livre dévoile les desseins cachés de l’Émirat, la mécanique secrète qui a conduit un État commun à étendre son pouvoir par l’arme de son argent et la crainte qu’il fait naître".
Bref, c’est un peu "le protocole des sages de Doha".