L'édito de Pascal Boniface

Face à la guerre, pas d’indignation sélective !

Édito
3 mars 2022
Le point de vue de Pascal Boniface
La décision calamiteuse de Vladimir Poutine de lancer une guerre contre l’Ukraine, en violation du droit international, a débouché sur une situation catastrophique pour le pays, mais également, à terme, pour la Russie. Les pays occidentaux – et d’autres – ont mis en place des sanctions extrêmement sévères que Poutine n’avait certainement pas anticipées et que les pays occidentaux ne pensaient probablement pas prendre. Mais stupéfaits par la violence de cette agression armée, ils ont pris des mesures inédites.

Je vois ici et là des commentaires affirmant qu’il n’est pas juste d’être beaucoup plus sévère avec la Russie, alors que d’autres pays dans le passé ont également eu recours à la guerre, de manière illégale au regard du droit international. C’est peut-être vrai, mais ce n’est pas une raison. D’une part, l’époque a certainement changé et nous sommes de plus en plus sensibles à la guerre et aux souffrances qu’elle apporte. D’autre part, le fait que les événements se déroulent en Europe a un effet beaucoup plus saisissant pour les pays et opinions publiques occidentaux. Il ne s’agit pas de la première guerre en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale comme certains l’affirment, puisqu’il y a eu la guerre au Kosovo contre la Yougoslavie, lancée par les pays de l’OTAN en 1999. A l’époque, beaucoup moins d’images des du conflit et des réfugiés liés à la guerre étaient diffusées.

Cependant, tout ceci, pour être vrai, ne doit pas venir excuser la décision de Poutine de se lancer dans une guerre, pas plus d’ailleurs que les multiples erreurs qui ont été faites à l’égard de la Russie. L’interrogation majeure est peut-être celle de comprendre les raisons qui ont poussé Poutine à une décision aussi criminelle ?

L’élargissement de l’OTAN était une erreur. Affirmer que cet élargissement nous protège contre la Russie n’est pas vrai. Sans doute que si l’on avait établi des relations différentes avec la Russie, Poutine n’aurait pas eu recours à la guerre. François Mitterrand, George F. Kennan, le père du containment, et Kissinger avaient mis en garde contre l’élargissement de l’OTAN et ses conséquences sur une crispation de la Russie. Cela ne vient pas pour autant excuser le recours à la guerre. La Russie a certes été humiliée. L’accord Salt 1 a certes été déchiré. Des systèmes de défense antimissiles ont été mis en place en Europe, systèmes que même Obama, qui voulait reconstruire une nouvelle relation avec la Russie, n’a pas pu retirer sous la pression du complexe militaro-industriel américain. L’ancien président américain avait lui-même qualifié la Russie de « puissance régionale ». Cette dernière a certes été humiliée dans les années 1990 par le comportement indigne de ses propres dirigeants (Eltsine et les oligarques). Mais tout ceci, pour être vrai, ne vient pas excuser le recours à la guerre.

Les Américains ont bien sûr lancé une guerre illégale contre l’Irak. À l’époque d’ailleurs des experts ne s’étaient pas trompés, mais avaient menti en affirmant que l’Irak possédait des armes de destruction massive. Mais cette guerre illégale, illégitime et aux conséquences catastrophiques ne peut en rien légitimer la guerre de Poutine. Certains, qui avaient approuvé la première, critiquent la seconde. D’autres, qui avaient critiqué la première, approuvent ou comprennent la seconde. Pour ma part, je m’oppose aux deux.

Joe Biden a fait une erreur en annonçant dès le départ qu’il n’interviendrait pas militairement en cas d’agression russe contre l’Ukraine, répétant un peu l’erreur de Dean Acheson qui, dans les années 1950, avait déclaré que la Corée du Sud ne faisait pas partie du périmètre de sécurité des États-Unis. Une fois encore, cela ne vient pas excuser le recours à la guerre décidée par Poutine. L’Ukraine a eu tort de ne pas vouloir mettre en œuvre les accords de Minsk, qu’elle avait pourtant signés, en estimant qu’ils lui étaient trop défavorables. Mais là encore, cela ne vient pas excuser le recours à la guerre décidée par Poutine.

En ces temps troublés, il faut éviter l’indignation sélective. Il ne faut pas non plus avoir une indignation sélective en protestant contre cette indignation sélective. Le recours à la guerre illégale, c’est à dire lorsqu’il ne s’agit pas de légitime défense ou qu’il n’y a pas eu de feu vert de l’ONU, doit être combattu. On ne doit pas être d’accord dans certains cas et en désaccord dans d’autres. Il faut être cohérent si l’on veut être entendu. Certains vont condamner Poutine alors qu’ils n’ont pas condamné les multiples violations du droit international, le recours à la guerre illégale, l’acquisition d’un territoire par la force dans d’autres cas. Ce n’est pas une raison pour accepter ce que vient de faire Poutine. On ne peut pas avoir des principes à géométrie variable. En tous les cas, ceux qui en ont doivent être mis en face de leurs contradictions, et cela dans les deux cas. Si l’on veut que les valeurs universelles soient respectées, il faut être cohérent à la fois dans les demandes de leur respect et dans la dénonciation de leurs violations. Il ne faut pas avoir un universalisme à éclipses ou une morale hémiplégique, mais être cohérent et appliquer les mêmes critères, quels que soient les protagonistes.

C’est pour ma part ce que j’essaye de faire. Je suis parfois critiqué des deux côtés, certains me qualifiant de vendu aux Russes, d’autres de vendu aux Américains. En tous les cas, je m’efforce d’être cohérent dans ma démarche, de reconnaître des erreurs quand j’en fais et de ne pas fonder ma démonstration sur des mensonges ou sur des déformations des réalités et d’accepter toujours le débat contradictoire.

 

 
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