L'édito de Pascal Boniface

Mobilisation en Russie : Vladimir Poutine perd-il le contrôle ?

Édito
27 septembre 2022
Le point de vue de Pascal Boniface


 

Vladimir Poutine a tenu, le 21 septembre dernier, un discours extrêmement agressif, brandissant la menace de l’arme nucléaire et appelant à une mobilisation partielle de la population russe pour contrer l’offensive ukrainienne. L’armée ukrainienne a en effet récemment réalisé une avancée dans le Donbass et l’armée russe se retrouve désormais en mauvaise posture.

Par ce discours, Vladimir Poutine cherche à reprendre le contrôle d’une situation qui lui échappe, or les décisions annoncées pourraient l’aggraver. Outre la situation sur le terrain, c’est en effet la place que le dirigeant russe va laisser dans l’histoire et son héritage quant au statut international de la Russie qui sont désormais en cause. Il est donc nécessaire de se méfier des réactions de Vladimir Poutine, puisque c’est non seulement sa survie politique, mais peut-être même sa survie physique qui est en jeux. Jusqu’ici, son autoritarisme et sa brutalité étaient globalement acceptés par la population russe, puisque Vladimir Poutine pouvait affirmer que la Russie avait retrouvé un véritable statut international bien plus important que lors de son arrivée au pouvoir. L’objectif politique qu’il s’était fixé était rempli. Mais la décision qu’il a prise de lancer son pays dans une guerre contre l’Ukraine est venue affaiblir la Russie aussi bien sur la scène internationale que d’un point de vue économique.

La récente décision de recourir à la mobilisation partielle de la population constitue un tournant dans le conflit et pour la Russie. Si les Russes pouvaient jusqu’ici regarder de loin la guerre, ou plutôt « l’opération spéciale » dans laquelle leur dirigeant avait lancé le pays, ils sont désormais directement concernés et impliqués. Les 300 000 personnes éventuellement mobilisables ne se précipitent évidemment pas pour l’être, voire fuient le pays, ce qui pourrait constituer à terme un réel affaiblissement pour la Russie. D’un point de vue militaire, cette décision permettra à la Russie de disposer de troupes supplémentaires, mais pas de manière immédiate. En revanche, d’un point de vue politique, la peur, voire la panique qu’elle suscite parmi la population a, elle, des répercussions immédiates. Vladimir Poutine a déjà fait une erreur stratégique majeure en lançant la Russie dans la guerre, les résultats militaires actuels de l’armée russe en témoignent et la situation géopolitique qui en résulte est contraire à ses objectifs : l’Ukraine est plus opposée que jamais à la Russie et son espoir de la contrôler est mort, l’OTAN s’est ressoudée, la présence américaine est plus forte que jamais en Europe.

Cette annonce d’une mobilisation partielle constitue un réel risque de déstabilisation pour le régime. Les Russes, s’ils peuvent mourir pour leur territoire, ne veulent pas mourir pour sauver Vladimir Poutine. Or le territoire russe n’est pas sous la menace d’une invasion ukrainienne ou occidentale. Il s’agit donc bien, pour les mobilisés, de mourir en Ukraine pour sauver le régime et le pouvoir de Vladimir Poutine. En face, les Ukrainiens se battent pour défendre leur territoire et leur patrie.

La politique de sanctions occidentales, si elle n’implique pas de changement de politique du régime de Poutine, pourrait avoir des conséquences sur son avenir à long terme. En revanche, la répression mise en place par le Kremlin pour museler toute opposition,  qui a fait fuir des dizaines de milliers de Russes depuis le début de la guerre – dont certains très qualifiés, notamment dans le secteur technologique et ayant donc un impact sur la compétitivité du pays – vient, elle, déstabiliser le pouvoir à plus court terme. La mobilisation annoncée ne viendra que renforcer le phénomène à l’œuvre, les manifestations observées ces derniers jours en témoignent.

Il était clair depuis longtemps que le nombre conséquent de morts côté russes allait affecter la popularité de l’« opération spéciale » – cela avait déjà été le cas en URSS du temps de l’intervention en Afghanistan, qui avait fait 15000 morts en 10 ans, un chiffre probablement déjà atteint après 7 mois de guerre. Mais si les morts ne sont pas des militaires engagés ou volontaires, les protestations ne risquent que d’être plus importantes dans le pays.

Celui qui avait su se bâtir l’image d’un homme qui dispose de l’ensemble des cartes pour à la fois tenir son pays et renforcer sa puissance sur la scène internationale, voit désormais la situation lui échapper, et cela devient visible à l’extérieur. Face à cela, les Occidentaux doivent être en mesure de réagir correctement. Chercher à vaincre la Russie n’est certainement pas la bonne solution ni le bon langage – même si certains pays d’Europe orientale poussent dans cette direction. Cela risque au contraire de resserrer les liens entre la population et le régime. En ce sens, la rupture des liens culturels avec la Russie constitue une erreur puisqu’ils permettaient de maintenir un contact avec la population russe et notamment avec des opposants à Vladimir Poutine. De la même manière, la décision européenne de restreindre les visas pour les Russes vient justement priver des gens qui s’opposent au régime et à ses décisions de la possibilité de fuir vers l’Europe. Cela est contre-productif. Du temps de l’URSS, les citoyens soviétiques cherchaient à quitter le pays, c’est Moscou qui les empêchait de partir. Ce sont désormais les pays européens qui refusent l’accès à des citoyens russes de fuir, alors que cela constituerait un très fort signal d’affaiblissement du régime. Le message que les Occidentaux doivent envoyer est celui de leur opposition à Vladimir Poutine et à son régime, pas à la Russie et à sa population. L’opposition frontale à tout ce qui est russe est une réaction émotionnelle compréhensible, mais elle ne constitue pas une politique rationnelle de lutte contre un régime. Il faut au contraire accentuer la coupure entre Vladimir Poutine et sa population, qu’il est lui-même en train de creuser.

 
Tous les éditos