L'édito de Pascal Boniface

« SHERIF 2021 – De la mondialisation à la planétisation » – 3 questions à Serge Degallaix

Édito
26 juillet 2021
Le point de vue de Pascal Boniface
SHERIF, pour Synthèse historique et économique des relations internationales du futur, est le titre du rapport annuel de la Fondation Prospective et Innovation (FPI), présidée par Jean-Pierre Raffarin. Le titre est un clin d’œil à René Monory créateur de cette fondation dont le surnom était le shérif. A l’occasion de l’édition 2021 intitulée : « De la mondialisation à la planétisation », Serge Degallaix, secrétaire général de la fondation, répond aux questions de Pascal Boniface.

Quelles différences faites-vous entre mondialisation et planétisation ?

De la mondialisation à la planétisation, le titre du SHERIF 2021 n’est pas un jeu de mots mais renvoie à la manière dont l’humanité entend vivre ensemble. La mondialisation est une réalité qui vient de loin mais qui, depuis les grandes découvertes et la Révolution Industrielle, a pris une forme essentiellement commerciale et financière, avec les ruptures introduites par les grandes guerres et les découvertes technologiques.

De la fin des années cinquante, du siècle dernier au début de notre siècle, soit pendant près de cinquante ans, les barrières tarifaires et non-tarifaires sont tombées, les échanges mondiaux se sont généralisés, amplifiés. Ils ont permis d’élever le niveau de vie et de sortir de la pauvreté des centaines de millions de personnes dans les pays de l’OCDE comme en Asie – bien moins en Afrique il est vrai car restée marginale dans ce vaste mouvement. Le libre commerce se justifiait aussi par les désastres entraînés par le protectionnisme des années 1930, prélude à la guerre.

Les limites de ce modèle apparaissent clairement depuis une quinzaine d’années. Les inégalités entre les nations et en leur sein se sont creusées, la peur du lendemain oblitère souvent la foi dans la science et l’avenir, le nationalisme érode le multilatéralisme et la planète souffre de dérèglements climatiques et de l’appauvrissement de la biodiversité.

Comme disait aux Nations Unies, Jacques Chirac nous n’avons pas de planète de rechange et il nous faut préserver celle que nous avons, sans tomber naturellement dans le catastrophisme. La planétisation, autrement dit la responsabilité collective de l’état de la planète, doit guider nos actions et faire prévaloir l’esprit de solidarité sur celui de compétition, de vision à long terme sur les intérêts économiques immédiats. Il faut fixer et respecter des règles à l’échelle planétaire, avec leurs déclinaisons régionales et nationales. La mondialisation ne peut s’arrêter tout comme la croissance ne peut être à taux zéro ou la décroissance , prônée par certains, s’installer,  ce serait un repli suicidaire pour le bien-être et la paix si ce n’était pas utopique, mais elles doivent être gérées de façon moins oligarchique et prendre en compte les inégalités et les coûts des dommages à l’environnement qui peuvent en résulter.

Les Accords de Paris sur le climat de 2015 constituent la pierre angulaire des efforts communs pour que la planète reste un espace vivable pour l’humanité. Face à la crise climatique, les barrières entre États, populations n’existent pas. Il n’y a pas d’échappatoire à la solidarité, même si la diplomatie et la défense de certains intérêts nationaux, les jeux politiques intérieurs ne disparaitront pas de sitôt. C’est le principal message que le SHERIF 2021 entend faire passer, avec le corollaire de soutien aux efforts du Sud, notamment de l’Afrique, que les pays industrialisés doivent apporter. Jean-Pierre Raffarin, qui préside la Fondation Prospective et Innovation, parle de substituer le consensus de Paris, fondé sur une réponse commune à une menace universelle, à celui de Washington, expression du néo-libéralisme économique et de la concurrence mondialisée incarné jusqu’à peu par le FMI.

Va-t-on assister à une relocalisation des productions ?

Une fois la mer des émotions retirée, le temps des slogans politiques passé, il apparaîtra que le prix à payer pour mener à grande échelle une relocalisation des productions n’est pas à notre portée. Nous ne pouvons nous couper du reste du monde et les royaumes ermites qui le font sont loin d’être des modèles à tous points de vue. Les contradictions sont fortes entre le rapatriement d’activités et le fait qu’il faut parfois une décennie pour réaliser un projet, que l’on n’en veut pas chez soi (« pas dans mon jardin ») et que cela renchérira le prix des produits, des services et donc abaissera le niveau de vie. Cela n’empêche pas, bien sûr, de privilégier des sites français ou européens ou maghrébins dans certains cas, notamment pour de nouvelles productions qui réduisent ou préviennent la dépendance. De toute façon, cela prendra du temps – et beaucoup de capitaux – et, pendant ce temps-là, on voit le commerce mondial des marchandises repartir de plus belle et de nouvelles dépendances s’aiguiser car le monde ne peut être statique, géographiquement et technologiquement.

Le protectionnisme est un engrenage dangereux et l’échange reste la clé du progrès, pour peu que des règles soient clairement posées et que nous soyons à même d’en profiter en sachant nous adapter.

Vous semblez optimistes sur le fait que le Maghreb bénéficie de la reconfiguration des chaînes de valeur en Europe.

Optimiste de cœur et de raison car nous devons œuvrer pour que la zone euro-méditerranéenne et, au-delà, eurafricaine, se renforce par les courants économiques, humains, intellectuels et culturels. Nous ne pouvons négliger nos voisins du Sud, tout comme ils ne peuvent nous négliger. Notre destin est commun et nous devons y travailler ensemble, dans le respect de l’autre et le pragmatisme de l’action. La Fondation Prospective et Innovation entend y contribuer en mettant ensemble hommes d’affaires et responsables politiques des trois pays du Maghreb central avec leurs vis-à-vis de la rive nord de la Méditerranée et d’Allemagne. La reconfiguration voulue en Europe des chaînes de valeur offre une occasion de renforcer les liens économiques entre nous, de tirer profit des atouts des pays de la rive Sud (dynamisme de la jeunesse et niveau éducatif, proximité géographique et culturelle, main d’oeuvre abondante et à coûts compétitifs, marchés en expansion), de diversifier nos sources d’approvisionnements et de les sécuriser par la force de nos liens.

Les ajustements structurels nécessaires au Sud peuvent être réalisés plus facilement si l’investissement, les projets, l’emploi, qualifié des perspectives mobilisatrices sont au rendez-vous. Le redéploiement de chaînes de valeur offre de telles opportunités. Les secteurs ne manquent pas : mécanique et électronique, pharmacie, agro-alimentaire, services informatiques et aux entreprises, hydrogène vert et énergies nouvelles, etc. Des actions sont déjà menées mais pourquoi, à l’instar des Japonais qui ont une vision régionale de leurs intérêts géoéconomiques et qui ont mis en place les instruments financiers d’accompagnement, les Européens n’adopteraient ils pas une approche plus volontariste pour que la reconfiguration des chaînes de valeur appelée des vœux prennent en compte pleinement le Maghreb, l’Afrique avec les enjeux politiques et économiques qui s’y rapportent. La présidence française de l’Union européenne peut fournir l’occasion de faire partager cette approche et de la traduire en actions.

 

 

 

 

 
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